UNE REFORME A RISQUE peut en cacher une autre. Pour les médecins libéraux, la nouvelle classification commune des actes médicaux (dite Ccam) qui doit, en théorie, être opérationnelle dès juillet 2004 pour son volet technique mais pas avant janvier 2005 pour les consultations, s'annonce plus déterminante encore que la réforme de la Sécurité sociale, en termes de revenus mais aussi d'organisation de la pratique.
La mise en place de ce référentiel unique, codé et évolutif, censé, selon le ministère de la Santé, « structurer le paiement à l'acte sur des bases équitables » est plus qu'un toilettage supprimant les lettres clés actuelles. En se substituant à l'obsolète nomenclature générale des actes professionnels (Ngap) pour les honoraires des praticiens libéraux et au catalogue des actes médicaux (Cdam) dans le secteur hospitalier, cette nouvelle échelle de travail médical va modifier les habitudes et les mentalités et, comme l'affirme un expert du dossier, « remettre en cause des rentes de situation historiques ».
Malaise.
Quatre mois après l'installation par Jean-François Mattei du comité de pilotage de la Ccam (Etat, caisses, syndicats), des voix s'élèvent dans la profession pour exprimer un profond désarroi. La complexité technique inégalée de ce chantier (encadré) et l'austérité budgétaire qui ressort du discours gouvernemental jettent le trouble parmi les spécialistes qui misaient beaucoup sur la Ccam, il y a un an, pour revaloriser des honoraires bloqués depuis longtemps. Aujourd'hui, c'est le manque de visibilité que dénonce la profession. Le déficit de l'assurance-maladie étant « abyssal » de l'aveu même du ministre de la Santé, rien ne dit que le gouvernement sera disposé à mettre sur la table dans quelques mois l'enveloppe de 180 millions d'euros demandée par la profession pour lancer sans trop de casse la seule Ccam des actes techniques. Un budget qui avait été validé dans le relevé de conclusions signé en janvier 2003 par l'assurance-maladie et les spécialistes, avant que les négociations ne tournent court.
Comme la négociation financière n'a pas commencé, chaque spécialité s'efforce de deviner à quelle sauce elle sera mangée. La médecine nucléaire, la gastro-entérologie, la cardiologie ou la radiologie redoutent, simulations à l'appui, une diminution globale de leurs honoraires. « Personne ne devra être lésé », martèlent les syndicats. Le discours est parfois désenchanté. « Sur le plan financier, la Ccam sera négative pour un grand nombre de spécialités, n'hésite pas à affirmer le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (Uccsf). Ce sera - 15 % pour les radiologues, - 8 % pour les gastros, de - 3 à - 5 % pour les chirurgiens, etc. » La plupart des spécialités « vont devoir entrer dans un costume plus étroit », résume-t-il. Le Dr Christian Avierinos, président du syndicat national des cardiologues, partage cette inquiétude. Après deux réunions avec les experts du comité de pilotage de la Ccam, il constate « une demi-douzaine d'anomalies de hiérarchisation » concernant des actes de cardiologie conventionnelle (ECG d'effort, rééducation cardiaque...) et redoute une décote des actes de cardiologie interventionnelle (coronarographie et angioplastie). Dans ce climat d'incertitude, les supputations vont bon train. « Les fuites savamment distillées sur la valeur du point travail et celles du coût de la pratique laissent augurer d'arbitrages sanglants », dit Jean-François Thébaut, président de l'Umespe (branche spécialiste de la Csmf) Ile-de-France. Beaucoup, finalement, redoutent que la Ccam soit détournée de son objet (la juste valorisation de chaque acte en fonction de sa difficulté technique ou intellectuelle) pour devenir un outil de régulation au service d'une « politique de revenus ».
Système « sain ».
D'autres responsables syndicaux ont un discours beaucoup plus positif. Ils sont convaincus que la Ccam permettra une restructuration utile de la profession. « La Ccam est un système sain qui évitera que des actes diagnostiques répétitifs produisent des revenus plus importants que des actes lourds et qui permettra de sauver le paiement à l'acte », déclare le Dr Jacques Meurette, président de l'Union des chirurgiens français (UCF).
Le Dr François Raineri, qui suit le dossier au Syndicat des médecins libéraux (SML), refuse lui aussi de jouer les Cassandre. « La réforme est intelligente, il s'agit d'honorer les médecins en fonction du travail rendu. Les résistances, il y en aura forcément : quand on fait le ménage, il y a de la poussière. »
Pour que la réforme passe sur le terrain, il appelle néanmoins l'assurance-maladie à abandonner son approche « rigide, idéologique » de la médecine libérale et à tirer les leçons du passé . « Pour la télétransmission, il a fallu dix ans, c'est l'exemple même de la méthode stupide. »
L'analogie est pertinente. Comme la télétransmission hier, la Ccam est devenue un « levier de pression » que comptent utiliser certains syndicats pour faire avancer leurs revendications tarifaires. La Csmf appelle les spécialistes exerçant dans les cliniques à boycotter le nouveau codage tant que la négociation financière n'aura pas abouti . La menace est claire : « Sans nouveau codage, pas de Ccam et sans Ccam, pas de tarification à l'activité. »
Le récent rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie a accentué le malaise des spécialistes. Beaucoup d'entre eux ont jugé que ce document faisait très peu de cas de la médecine spécialisée libérale. « On ne parle des spécialistes que pour dénoncer les inégalités de revenus et rentes de situation, jamais on ne souligne leur apport au système de soins français », déplore un responsable syndical. De là à conclure que la médecine spécialisée de ville est une moindre préoccupation du gouvernement, surtout soucieux de ménager l'hôpital, il n'y a qu'un pas. Pour la Csmf, seule une forte « impulsion politique », donc financière, conditionnera la crédibilité de la Ccam.
Tout occupé à lancer la concertation sur la réforme de l'assurance-maladie, Jean-François Mattei aurait tort de ne pas déminer, en même temps, le terrain de la nomenclature.
Un travail de bénédictin
Installé en octobre 2003, le comité de pilotage tripartite de la Ccam, composé d'un représentant de l'Etat, de sept représentants des caisses et de sept représentants des syndicats représentatifs (2 Csmf, 2 Sml, 1 FMF, 1 Alliance, 1 MG-France), a pour première mission de « valider » la classification et la méthodologie applicable aux actes techniques, préalable à la négociation financière.
Le pôle nomenclature de la Cnam et les sociétés savantes avaient déblayé le terrain dès 2001. Chaque spécialité a présenté récemment ses doléances. Au-delà d'une actualisation indispensable (des libellés sont obsolètes, des techniques innovantes ne sont pas reconnues), il s'agit de dissocier pour chaque acte le « travail médical » (caractérisé par un nombre de points intégrant la technicité, la durée, le stress...) du « coût de la pratique » (évaluation du taux de charges par spécialité notamment). La classification exige des choix à l'intérieur de chaque spécialité mais également entre les disciplines (actes liens).
Les arbitrages sur la Ccam technique interviendront en mars. Quant à le refonte des consultations (qui concerne aussi les généralistes), elle ne fait que commencer. Du côté de la Csmf, on dénonce la méthodologie proposée par l'assurance-maladie qui aboutirait à « multiplier les situations cliniques, et donc les conflits avec les médecins-conseils ».
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