«UN SCOOP». Ainsi Robert Rochefort qualifie-t-il l’événement, voulant dire que le sociologue s’y est lui-même laissé surprendre : « Dans un pays où on a l’habitude de dire qu’il est impossible de mener à bien de grandes réformes, les études récentes montrent que l’institution du médecin traitant a été massivement acceptée par le public. Peut-être tous les Français n’ont-ils pas encore parfaitement décodé les conséquences de cette réforme, en particulier les pénalités financières pour les consultations hors parcours? Quoi qu’il en soit, l’une de ses conséquences majeures, c’est que le généraliste y trouve son autorité extraordinairement confortée.»
Cette autorité, le patron du Credoc la voyait auparavant bien mal partie*, en butte à «des patients de plus en plus impatients, prompts à se comporter de manière tyrannique, alors que la crise de la représentation symbolique de la profession médicale battait son plein».
C’est donc un peu la divine surprise. «Il aura suffi d’une réforme pour renverser le sens de l’histoire. C’est la démonstration que, dans un système administré comme le nôtre, les usagers, si critiques et contestataires qu’ils soient sur beaucoup de sujets, paradoxalement restent assez dociles, enclins à se comporter selon les directives de la loi.» Cette acceptation de la réforme du médecin traitant et de l’autorité restaurée qui en découle pour le généraliste constitue une évolution culturelle. «Les usagers commencent à admettre qu’il n’est pas indispensable de gaspiller tout le temps, que le toujours plus en matière de santé ne veut pas dire le toujours mieux.»
Face à un tel changement, Robert Rochefort reste circonspect. «La sociologie nous enseigne qu’on ne change pas la société par une loi et, si une loi semble opérer de profonds changements, cela s’explique soit par le fait que les choses avaient au préalable déjà changé, auquel cas la loi n’a fait qu’acter ce qui était déjà mûr, soit on est dans une évolution temporaire. Dans le cas présent, je penche plutôt vers la première interprétation: la fin de l’époque du toutgratuit en santé. Cela fait exactement vingt ans que j’ai travaillé sur ce que l’on appelait alors les réseaux de soins coordonnés; nous avions alors compris que l’absence de parcours de soins en France créait des gaspillages, des redondances et des clientélismes extrêmement coûteux. Mais, vingt ans après, on ne peut qu’être surpris par l’adhésion du public à un système rénové qui, sans aller jusqu’à susciter son inquiétude, le plonge dans l’incertitude.»
L’adhésion du public à la réforme est allée de pair avec celle des généralistes : «Ils ont trouvé là, sans le formuler explicitement, une forme de reconnaissance symbolique extrêmement puissante, qui remettait d’aplomb leur autorité. A contrario, beaucoup de spécialistes ont sous-estimé les conséquences de la réforme sur leur statut propre, surestimant la position que leur procurent, d’une part, leurs clientèles acquises et, d’autre part, leur haut niveau de compétence dans leur discipline. Si bien que l’on assiste à un renversement des rôles: le spécialiste ne regarde plus du haut de son piédestal le généraliste, devenu un peu le “copain” du patient. Désormais, c’est un nouveau clivage qui se dessine, cette fois entre spécialistes: les hospitaliers, qui jouissent d’un très fort prestige, et les libéraux, qui ont cessé d’être des intouchables et qui sont certainement les victimes de la réforme, en termes d’exercice de l’autorité du praticien sur le patient.»
Des critères objectivants.
L’autre élément de nouveauté est la publication d’indicateurs de performances des établissements. «Là aussi, nous sommes en présence d’une évolution majeure. Il y a vingt ans, un classement des services hospitaliers aurait été perçu comme une démarche sacrilège, alors que, aujourd’hui, après les classements publiés par les médias, c’est le ministère de la Santé lui-même qui, sur les infections nosocomiales ou d’autres types de performances, prend l’initiative, à l’instar de ce que l’on observe dans le monde scolaire avec les hit-parades de lycées. Certes, la société française n’est pas encore prête à banaliser l’autorité du médecin, mais elle manifeste qu’elle ne veut plus accepter tout et n’importe quoi. Les indicateurs de performances de services jouent le rôle de correctifs destinés à porter quelques coups d’aiguillon. On ne révolutionne pas le système d’autorité, mais l’autorité se trouve mise sur la sellette.»
Au final, le processus de «désacralisation del’autorité médicalese poursuit, estime Robert Rochefort ; aujourd’hui, sans être banalisée, elle est de plus en plus technicisée, soumise à une obligation de performance. Le médecin est par conséquent de moins en moins un gourou, son autorité est de moins en moins subjective, elle s’apprécie selon des critères objectivants».
* « Une relation décontractée pour le meilleur et pour le pire », entretien dans « le Quotidien » du 18 mars 2004.
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