Le Temps de la médecine :
La mort en face
L'autopsie médico-scientifique réalisée à des fins diagnostiques ou de recherche n'a pas une bonne image et est considérée comme une pratique d'un autre temps. « Si la plupart des centres hospitaliers universitaires sont habilités à la pratiquer, on assiste depuis quelques années à une centralisation et à une spécialisation du geste autopsique », confie au « Quotidien » le Dr Danielle Seilhean*, médecin, enseignante/chercheuse et l'une des quatre anatomopathologistes à encore pratiquer le geste autopsique au sein du laboratoire de neuropathologie du CHU Salpêtrière, à Paris.
Depuis la circulaire du 11 décembre 1995 relative aux « précautions à observer en milieu chirurgical et anatomopathologique face aux risques de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob », beaucoup d'hôpitaux ont renoncé à se mettre aux normes et ne la réalisent plus. Une dizaine de centres répartis dans toute la France servent de référence pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) et prennent en charge toutes les autopsies. La plupart des anatomopathologistes se sont tournés vers des techniques d'investigation moins invasives de biologie moléculaire.
En France et dans la plupart des pays européens, sauf l'Autriche, qui bénéficie d'un contexte historique particulier, le nombre d'autopsies est en diminution depuis les années 1990. A la Pitié-Salpêtrière, elles ne concernent que « 5 % des décès et ce chiffre est en constante diminution », constate Danielle Seilhean.
Une effraction du corps
Dans les hôpitaux administrés par l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, 2 469 autopsies ont été réalisées en 1993, 534 en 2000. Les réticences viennent à la fois des familles et des médecins. Le geste autopsique est ressenti par les proches « comme une effraction radicale des corps », même si parfois ils le revendiquent. Entre eux et les médecins il peut exister un certain contexte de « tension » : le décès est perçu comme quelque chose d'anormal, d'accidentel, dont il « faut rendre compte ». Les familles réclament l'autopsie pour savoir. Les médecins devancent parfois cette demande ou hésitent à la proposer de peur « d'éveiller les soupçons » et d'être accusés « de n'avoir pas contrôlé les circonstances de la mort ».
En dehors de ce contexte de soupçon, les médecins ont généralement du mal à simplement parler de la mort : « Ils sont là pour soigner et pour guérir. Ils sont réticents à proposer l'autopsie à la famille ».
Peu en font la demande. Dans un hôpital comme celui de la Pitié-Salpêtrière où 2 à 3 autopsies sont réalisées chaque semaine, « la moitié des demandes d'autopsie à visée diagnostique vient de services non neurologiques, essentiellement les services de réanimation (chirurgicales, médicales ou cardiaques). L'autre moitié du recrutement concerne les maladies neurologiques pour lesquelles existent des protocoles de recherche : suspicion de Creutzfeldt-Jakob et certaines maladies neurodégénératives. »
Pour Danielle Seilhean, « l'autopsie a toujours son utilité en sciences et en médecine», même s'il faut « la repenser de plus en plus, de mieux en mieux, dans le cadre d'un dialogue et d'un don pleinement assumé ». En effet, depuis les lois bioéthiques de 1994, l'autopsie médico-scientifique, contrairement à l'autopsie médico-légale (requise par la justice) ou à l'autopsie sanitaire (demandée par les préfets en cas d'urgence sanitaire)**, repose sur le don d'organes post mortem pour les prélèvements à des fins scientifiques ou sur le consentement pour la recherche des causes de la mort. La loi n'exige pas le consentement de la famille si l'autopsie est à visée diagnostique. Pourtant, « par habitude ou coutume, l'accord des familles est toujours sollicité et il est entendu qu'une famille peut s'opposer à la pratique d'un tel geste ». Dans le cadre d'une recherche scientifique, le consentement du défunt est exigé. Ce type d'autopsie est destiné à recueillir des prélèvements qui seront conservés dans des banques de tissus. Contrairement aux dons d'organes à visée thérapeutique, pris en charge par des chirurgiens préleveurs, les autopsies diagnostiques et les prélèvements post mortem sont réalisés par des anatomopathologistes (ou tout autre médecin en leur absence). Les circuits diffèrent, mais ces pratiques ne peuvent s'effectuer sans une interrogation préalable du Registre national des refus (RNR) géré par l'Etablissement français des greffes. L'avis enregistré au RNR prime sur tout autre document, même manuscrit et postérieur à l'avis du registre.
Diagnostic des maladies neurologiques
Cette procédure contraignante explique que les autopsies médico-scientifiques soient de plus en plus rares, même si elles restent utiles, voire indispensables, pour la surveillance épidémiologique, le diagnostic des maladies neurologiques et la recherche, surtout en neurosciences. « Les statistiques de décès reposent sur les certificats établis par le médecin qui a constaté la mort. Cependant, la plupart des séries montrent que dans 20 à 50 % des cas, des éléments ignorés cliniquement sont découverts au moment de l'autopsie et peuvent avoir causé la mort ou simplement entraîné une morbidité supplémentaire », rappelle le Dr Seilhean. En France, le diagnostic porté sur le certificat de décès n'est pas modifié par les résultats obtenus post mortem. Dans certaines pathologies neurologiques, le diagnostic de certitude ne peut être obtenu qu'après le décès, et les techniques d'imagerie médicale ne peuvent remplacer l'autopsie. En dehors de la MCJ, c'est le cas de la maladie d'Alzheimer, des syndromes parkinsoniens, des démences fronto-temporales (la SLA, par exemple). En plus de la confirmation anatomique, il est indispensable de pratiquer des prélèvements pour la recherche en neurosciences, car la biopsie n'est pas un geste anodin. « Certains chercheurs cliniciens qui ne sont pas anatomopathologistes s'adressent à des banques de tissus pour obtenir des prélèvements. Ils sont demandeurs de ce qui leur apparaît comme quelque chose d'abstrait mais ils hésitent à faire une demande d'autopsie pour leurs patients », explique le Dr Seilhean. Or, même dans les maladies inflammatoires du système nerveux, comme la sclérose en plaques, « des pays comme la Hollande font beaucoup de recherche sur des prélèvements post mortem effectués sur des patients qui ont fait don de leur cerveau ».
* « Regarder la mort en face », Editions L'Harmattan, 2003, préface de Didier Sicard.
** Cette procédure prévue pour les grandes épidémies, peste, choléra, fièvre Ebola, n'a encore jamais été appliquée en France.
Comment demander une autopsie médicale
Tout médecin peut demander une autopsie médico-scientifique. Pour cela, il doit prendre contact avec un centre hospitalier universitaire.
Si le décès survient à domicile ou dans un centre non équipé, il est possible de recourir à un transport du corps sans mise en bière. La demande doit alors être faite par la famille à la mairie du lieu de décès dans un délai maximal de 24 heures. Le certificat de décès signé par le médecin doit comporter la mention « sans mise en bière ». Le transport est réalisé par une compagnie de pompes funèbres agréée et n'est pas remboursé par la Sécurité sociale. Il peut être pris en charge par certaines associations.
A l'hôpital, trois formulaires doivent être remplis : une autorisation d'autopsie à visée diagnostique, une autorisation de prélèvements pour la recherche et un procès-verbal décrivant les conditions du décès. L'autopsie et les prélèvements ne sont effectués qu'après une interrogation du Registre national des refus, qui précise si la personne s'oppose au prélèvement d'élément de son corps, après sa mort : soit à des fins thérapeutiques (greffe sur patient) ; soit pour rechercher les causes médicales du décès ; soit à d'autres fins scientifiques ; soit dans ces trois cas. Toutes les combinaisons sont possibles.
Le corps est ensuite rendu à la famille après une restauration tégumentaire. La mise en bière a lieu en général à l'hôpital. Un transport du corps sans mise en bière est possible, si le délai post mortem est inférieur à 24 heures, ou si des soins de conservation sont pratiqués.
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