IL EST L'UN des trois « piliers » de l'islam en France, tels que les a voulus le Cfcm, l'instance représentative des quatre millions de musulmans de l'Hexagone, initiée en 1999 par Jean-Pierre Chevènement et formalisée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur : Abdelkader Arbi est le premier aumônier militaire en chef musulman, Moulay el-Hassan el-Halaoui Talibi est aumônier général des prisons et lui, Abdelhaq Nabaoui, 41 ans, est l'aumônier national pour les hôpitaux. Du moins l'est-il encore, car, à la différence de ses deux collègues, il déclare au « Quotidien » qu'il n'est «pas en mesure d'assumer ses responsabilités». Et qu'il envisage de présenter sa démission au Cfcm dans les prochains jours.
Valeurs républicaines.
Nommé en mars dernier par le bureau de l'organisation, confirmé en septembre par le conseil d'administration, il est censé prendre contact avec le ministère de la Santé ainsi que les directeurs d'hôpital, recenser les aumôniers en fonction à travers la France, bénévoles ou salariés, procéder à la nomination de ceux qui font défaut en veillant à ce qu'ils adhèrent aux valeurs républicaines et régler les conflits de plus en plus nombreux entre le personnel et certaines familles musulmanes (refus de père ou d'époux de voir leur fille ou leur femme se faire examiner par un praticien homme, refus de se faire soigner par des personnes non musulmanes…).
Autant de tâches délicates que M. Nabaoui estime aujourd'hui n'avoir pas les moyens d'assumer. «Ma priorité, pour le Cfcm, explique-t-il, c'est de dresser un état des lieux, pour savoir qui fait quoi. Or j'ai demandé audience à ce sujet à Xavier Bertrand, qui n'a donné aucune suite à mes courriers. Après les attentats du Royaume-Uni, qui mettent en cause des professionnels de santé, j'ai renouvelé ma demande auprès de MmeBachelot, sans davantage de réponse de sa part.»
«Lorsqu'elle était ministre de la Défense, MmeAlliot-Marie avait pris la question à bras-le-corps, constate-t-on au Cfcm ; des aumôniers en chef adjoints ont été nommés, avec un effectif d'une quinzaine d'aumôniers musulmans recrutés principalement à travers le vivier de l'armée d'active, tous rémunérés et bénéficiant d'un statut administratif. En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, 80aumôniers musulmans ont été désignés, parmi lesquels une trentaine sont indemnisés. Dans le cas de M.Nabaoui, en revanche, nous nous heurtons à un blocage de fait, l'administration se retranchant derrière le statut d'autonomie dont bénéficient les établissements.»
Recrutement sans contrôle.
Là réside, précisément, le souci de l'aumônier national : «Je n'ai aucun droit de regard sur le recrutement, regrette-t-il. N'importe qui s'autoproclamant imam, après avoir suivi n'importe quelle formation, peut se faire accréditer par un directeur d'établissement, sans que celui-ci dispose de moyen de contrôle, que ce soit sur la capacité théologique du demandeur, ou sur son respect des valeurs républicaines. Dans de telles conditions, accuse M. Nabaoui, je n'irai pas jusqu'à affirmer que les pouvoirs publics laissent intervenir sans contrôle dans les hôpitaux des imams potentiellement issus de milieux extrémistes, mais j'éprouve à ce sujet de vives inquiétudes.»
Commentant la situation de l'aumônier qui intervient dans les CHU de Bichat, de Necker - Enfants-Malades et de Beaujon, telle que « le Quotidien » la lui rapporte (lire encadré), l'aumônier national estime que «cet exemple édifiant atteste d'une situation d'anarchie et de désordre totale. En l'absence de toute procédure et de tout contrôle, un imam est un électron libre qui peut exercer sa charge de manière positive ou dangereuse, selon les liens qu'il entretient avec tel ou tel groupe. Or un aumônier au sein d'une structure hospitalière exerce une lourde responsabilité. Nos concitoyens, qui savent que les extrémistes sont aujourd'hui partout, doivent être alertés sur l'existence d'un risque, avec la présence d'aumôniers munis de laissez-passer qui leur permettent d'aller et venir librement, en dehors des contrôles».
« L'administration hospitalière ne joue pas la transparence ».
Affirmant qu'il préfère dénoncer la situation avant que ne surviennent des événements dramatiques, M. Nabaoui devrait finalement obtenir gain de cause au sujet de sa demande d'audience. Du moins le cabinet de Roselyne Bachelot, contacté par « le Quotidien », fait-il savoir qu'il va être reçu «très rapidement» par la ministre, ou par ses conseillers en charge de l'hôpital.
Au bureau central des cultes (Bcc, ministère de l'Intérieur), le responsable des affaires musulmanes constate, pour sa part, qu' «à la différence de l'armée et de l'administration pénitentiaire, l'administration hospitalière ne joue pas la transparence: elle n'a jamais rendu public le nombre des personnes accréditées dans des fonctions d'aumônerie musulmane, pasplus que les modalités de leurrecrutement, qui procède de réseauxde connaissances et de phénomènes de capillarité mal définis, dans une atmosphère de défiance».
Cette défiance, exacerbée par l'actualité, ne contribue certes pas à détendre l'atmosphère, pas plus que les relations compliquées au sein de la communauté musulmane, entre la grande mosquée de Paris et la mosquée Adda'Wa, ou entre l'Union des organisations islamiques de France (Uoif) et le Cfcm.
Un accès à tous les services de 3 CHU
Bichat, Beaujon et Necker - Enfants-Malades : ce sont les trois CHU parisiens dans lesquels Mahmoud Aïté Chabane remplit les offices d'aumônier musulman auprès des patients qui font appel à lui. Sur les documents remis aux personnes hospitalisées, son nom et son téléphone figurent avec ceux de l'aumônier catholique et de son collègue rabbin. « Je suis devenu aumônier il y a une quinzaine d'années, alors que je rendais de nombreuses visites à desmusulmans hospitalisés, explique-t-il au “Quotidien”, sans fournir plus de détail sur les modalités de sa désignation. Aujourd'hui, poursuit-il, ma tâche consiste à venir lire des sourates du Coran à ceux qui en font la demande, ainsi qu'à procéder aux toilettes funèbres, conformément à nos rites religieux.»
M. Aïté Chabane se réclame de la mosquée de la rue de Tanger et n'entretient pas de relation avec celle de la rue du Puits-de-l'Ermite (« la Grande Mosquée »), pas plus qu'avec le Cfcm. Il déclare ignorer l'existence d'un aumônier national musulman pour les hôpitaux. Et il ne souhaite pas s'en rapprocher, préférant travailler «de manière indépendante».
A la différence de ses collègues chrétien et juif, il ne perçoit pas de rémunération. Il est cependant « badgé », titulaire d'un laissez-passer administratif à en-tête de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, nominatif, avec le titre d'« aumônier musulman ». Un document, précise-t-il, qui lui donne accès, de jour comme de nuit, à tous les services des trois CHU qu'il dessert.
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