ON CONNAÎT surtout Emile-Othon Friesz (1879-1949) pour ses toiles fauves, explosion de couleurs franches qui subliment des paysages méditerranéens. Mais il s'agit là d'une seule partie de son oeuvre. Et c'est bien le mérite de cette riche exposition – qui regroupe 170 oeuvres, peintures, dessins, gravures, céramiques – que d'explorer des pans méconnus de la création de ce peintre havrais. Emile-Othon Friesz est replacé ici dans la globalité de son oeuvre, une oeuvre singulière, mélange de modernité audacieuse et de tradition circonspecte.
Les débuts du peintre sont marqués par l'impressionnisme. Influencé par Pissarro et Guillaumin, Othon Friesz, dans ses scènes parisiennes de 1902 et 1903, utilise de petites touches dansantes pour donner plus de vie aux personnages et aux fiacres qui traversent le Pont-Neuf, aux bateaux qui passent sous le pont de Grenelle, ou sur le canal Saint-Martin. Peu à peu, la couleur se fait plus vive, plus intense.
Le séjour que Friesz fait à Anvers, aux côtés de Braque, à l'été 1906 est décisif : il marque ses débuts vers le mouvement fauve. L'exposition présente un somptueux ensemble de cette période, synonyme de l'engagement et de la maturité : docks, barques de pêches, « Croiseur pavoisé à Anvers », rayonnant « Port d'Anvers » aux couleurs enflammées. Un peu plus tard, à Honfleur, Friesz réitère l'expérience de la palette ardente. Les oeuvres réalisées dans le petit port du Calvados déploient tout un jeu de camaïeux subtils, de formes molles et entourées de cernes. Dans « Automne à Honfleur », les jaunes et les rouges flamboient.
L'année suivante, en 1907, Friesz se délecte des paysages méditerranéens, de Cassis à La Ciotat en passant par l'Estaque. Il en résulte une série de toiles qui sont comme une apothéose : lyriques, intenses, exaltées. Il est convenu de dire que « les Baigneuses » (1908) marque une transition dans l'oeuvre du peintre. La couleur disparaît peu à peu des toiles, comme si elle avait été trop assidue auparavant, comme si le peintre, fatigué de tant d'intensité, estompait alors les tonalités pures et lumineuses. Durant cette période des années 1910, la structure et la rigueur deviennent les maîtres mots de la création de Friesz, fortement influencée par Cézanne. «Je préfère la gravité nue jusqu'à la tristesse de Cézanne», confiait-il.
Cet assagissement se renforce durant les années d'après-guerre, marquées chez certains artistes (comme Derain ou Vlaminck) par un retour à l'ordre, auquel Friesz souscrit de toute son âme de peintre : toiles très structurées, retour à des valeurs picturales classiques (« le Printemps » ou « les Femmes à la fontaine de Guarda »), rigueurs voire austérités (« la Cathédrale de Rouen »), froideur de la palette, sujets traditionnels qui s'inscrivent dans la tradition picturale (nus, natures mortes, allégories…), monumentalité des formats et des compositions. Les toiles de ces années sages n'en sont pas moins intéressantes. Friesz ne se départira plus jamais de ce style plus académique, qui tranche résolument avec son audace du début du siècle. L'art décoratif le passionne. Il réalise de nombreux panneaux ornementaux, et des céramiques (dont de beaux spécimens sont présents dans l'exposition).
Un peintre qu'il est très intéressant de redécouvrir. Son oeuvre n'avait plus fait l'objet d'exposition depuis trente ans. Un oubli brillamment réparé par la somptueuse Piscine Art déco de Roubaix.
L'exposition poursuivra sa route au musée d'Art moderne de Céret (en juin) et au musée Malraux du Havre (en octobre).
Musée d'Art et d'Industrie André-Diligent. La Piscine, 23, rue de l'Espérance, 59100 Roubaix. Tlj sauf lundi, de 11 h à 18 h (vendredi jusqu'à 20 h ; samedi et dimanche de 13 h à 18 h). Entrée : 3,50 euros (TR : 2,50 euros). Jusqu'au 20 mai.
A lire : le très beau catalogue Gallimard, collectif sous la direction de David Butcher, 304 p., 39 euros.
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