LA CONVENTION traduit un puissant effort pour établir de nouvelles règles de fonctionnement du système de soins susceptibles d'en modérer le coût et, en corollaire, de mettre un terme à un ressentiment des praticiens, mais surtout des spécialistes, qui menaçait dangereusement les structures sanitaires du pays. On ne saurait dire, aujourd'hui, que les choix faits par le gouvernement et par l'Uncam conduisent à un échec et si on a un minimum de probité, on doit même espérer le contraire.
Deux philosophies mêlées.
Il y a deux grandes idées qui sous-tendent cette architecture à la fois complexe et fragile : le système est libéralisé et il est plus contrôlé.
Libéralisé parce que, pour la première fois, le patient paiera de sa poche un euro par acte, ce qui devrait le responsabiliser ; parce que, aussi, un droit à dépassement est reconnu à des spécialistes de secteur I : d'aucuns y voient une dérive vers la médecine à deux vitesses puisque seuls les patients qui peuvent se le permettre contourneront le médecin traitant et iront directement voir leur spécialiste, quitte à être moins remboursés. Mais on ne voit pas pourquoi les malades décidés à obtenir un remboursement maximal seraient moins bien soignés que les autres.
Cette disposition apporte de l'oxygène aux médecins libéraux gagnés par l'asphyxie. Elle est essentielle car, contrairement à ce qu'on lit dans la presse grand public, toujours prompte à brandir le flambeau de l'anticorporatisme, le malaise des praticiens a atteint le seuil d'alerte : ils ne pouvaient plus vivre de leur métier et commencent déjà à le déserter, comme en témoigne le nombre insuffisant de candidats à l'exercice de plusieurs spécialités. C'est facile de dire que les médecins gagnent bien leur vie, mais si c'était vrai, ils n'envisageraient pas de quitter leur métier. Donc, le gouvernement et l'Uncam ont retenu l'idée que pour maintenir à flot le système, il fallait retenir les soignants par la manche.
Une illusion.
Le gouvernement ne l'avoue pas, il feint de regarder ailleurs, mais il ferait mieux d'avoir le courage de ses décisions : oui, il s'oriente vers une libéralisation plus grande du système, oui, il songe à un rôle accru des complémentaires, oui, il lui faut alléger le fardeau du passif de la Sécu. Croire, comme encore beaucoup de nos concitoyens, que l'on va continuer à se soigner en France à n'importe quel prix et sans payer davantage est une illusion dangereuse qui peut engloutir tous nos espoirs de croissance et d'emploi. C'est pourquoi la FMF aurait dû signer l'accord conventionnel : elle obtient satisfaction sur le plan philosophique, sinon sur le plan pratique ; mieux, l'Etat s'engage dans une voie qui n'est pas réversible, compte tenu du vieillissement de la population et des nouvelles maladies. Il n'a pas généralisé le secteur II, mais il se donne la possibilité ultérieure de le faire, si le déficit s'accroît encore.
LE NOUVEAU SYSTÈME S'INSPIRE À LA FOIS DU LIBÉRALISME ET DE L'ÉTATISME
Un paradoxe.
L'autre idée, c'est le DMP, le médecin traitant, la surveillance des résultats comptables de la maîtrise médicalisée. D'abord, le médecin traitant n'est pas autre chose qu'un remodelage du médecin référent ; comme l'évocation du référent sufffisait à donner des boutons à la plupart des médecins, on en a aboli le nom. Du même coup, les pouvoirs publics se brouillent avec MG-France, qui pense que le référent est un succès avec ses deux millions de patients soignés. La plupart des référents devraient se hâter néanmoins de se transformer en médecins traitants pour conserver les avantages financiers liés à la fonction. On a fait une mauvaise manière à MG-France, qui avait épousé avec ardeur la notion de référent et a de bonnes idées sur les filières de soins et l'intégration des étapes sanitaires à franchir par le patient. Pourtant, le médecin traitant fonctionnera d'une façon très comparable à celle du référent. De sorte qu'à une indulgence sur les dépassements s'ajoute un moyen de contrôle très antilibéral.
C'est paradoxal, mais cela traduit les incertitudes d'un gouvernement beaucoup plus désemparé qu'il ne veut en donner l'impression ; cela montre aussi que le doute théorique a conduit les pouvoirs publics à s'inspirer de deux philosophies opposées ; et cela exprime un écartèlement entre la nécessité d'accorder au monde médical les revenus sans lesquels il fermera les cabinets et la nécessité de réduire les coûts par tous les moyens.
Pas de révolution.
Bien entendu, on peut dire qu'avec un peu de courage politique, le gouvernement aurait pu fixer un plafond de dépenses en accord avec les recettes et laisser les patients payer pour le reste. Mais il ne peut pas s'offrir le luxe d'une révolution. Il a donc reconstruit l'assurance-maladie avec des matériaux contradictoires. Il prépare l'opinion à des libéralisations ultérieures si le déficit n'est pas contenu ; il tente de rationaliser le parcours sanitaire avec le médecin traitant ; et, comble du paradoxe, le gouvernement sera vissé devant son tableau de bord et interviendra en urgence si les dépenses dérapent (c'est la réinvention, en deuxième recours, de la maîtrise comptable).
L'effort de restructuration est tel qu'il exige beaucoup d'argent là où on veut en économiser. La solution n'est même pas convaincante : il faut payer le médecin traitant, notamment pour le suivi du dossier, il faut payer le spécialiste dont la consultation est, fort heureusement, revalorisée. Du point de vue comptable, la seule perspective, c'est que les nantis aillent consulter le spécialiste sans passer par le médecin traitant. Il est peu probable que cela entraînera de substantielles économies. Voilà où nous en sommes, c'est-à-dire au début d'un voyage dont nous savons déjà qu'il nous réservera quelques surprises.
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