Enquête
De notre correspondant à Madrid
Près de 1 200 praticiens espagnols travaillent déjà au Portugal ; ils sont le même nombre environ à exercer en Angleterre : la Suède et l'Italie en ont accueilli des effectifs non négligeables.
La France, sans doute satisfaite de l'engagement de nombreuses infirmières espagnoles pendant les deux dernières années, est en train de préparer les mécanismes nécessaires qui permettront à des médecins espagnols de venir combler le déficit chronique de praticiens tant dans nos hôpitaux publics que dans nos cliniques privées. L'aventure en France a même déjà commencé pour certains.
Comment expliquer cette tendance ? La « crise » de la profession en Espagne : tous les syndicats de médecins en parlent à Madrid. Pour le Dr Carlos Amaya Pombo, secrétaire général de la CES (Confédération espagnole des syndicats de médecins), « l'Espagne, comme d'autres pays européens, n'a pas su planifier l'évolution de la profession au cours de ces dernières années », et a formé, contrairement à la France et à d'autres, trop de médecins malgré l'apparition d'un numerus clausus.
Selon une étude de l'OCDE pour l'année 1995, l'Espagne avait déjà, à ce moment, le nombre le plus élevé de médecins par habitant (40,8 pour 10 000 habitants). En plus, souligne le Dr Amaya Pombo, « la directive européenne de 1993 sur l'instauration des temps de repos pour les professionnels de la santé, n'est pas encore appliquée en Espagne et les médecins font trop d'heures : 37,5 heures par semaine, plus les gardes obligatoires », qui peuvent représenter jusqu'à 25 % du salaire mensuel.
« Dans d'autres pays, comme la France, le médecin a aussi gardé son image sociale », déclare ce neurochirurgien qui a travaillé pendant deux ans à l'hôpital parisien de la Pitié : « Il n'est pas rare, dans les hôpitaux français, de voir un chirurgien contrôler deux ou trois blocs opératoires, déléguer certains actes à des infirmières ou à des techniciens ; ce qui n'est pas le cas en Espagne. »
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que bon nombre de médecins soient prêts à partir, surtout s'ils peuvent obtenir une augmentation de leurs revenus. « En Espagne, l'évolution de la rémunération des médecins dans le système public de santé est assez faible, entre le début et la fin de la vie professionnelle », continue le Dr Amaya Pombo, avant de déplorer que « rien ne soit fait pour stimuler les professionnels ».
Une critique que reprend avec énergie le Dr Antonio Rivas, président de la branche santé du syndicat CSIF et président du Syndicat de médecins de Madrid : « Que vous fassiez des masters, que vous publiiez les résultats d'une recherche, ou que vous enseigniez, cela ne change rien au déroulement de votre carrière ni à votre rémunération », dit cet anesthésiste de l'hôpital de La Paz de Madrid. Seulement en Navarre, dans quelques hôpitaux de Madrid et dans les hôpitaux de Catalogne, ces activités évaluées tous les quatre ou cinq ans peuvent entraîner une revalorisation salariale. Autre critique du mode de rémunération : « Ceux qui n'ont pas signé l'exclusivité dans le système de santé publique (qui fait travailler 88 % des médecins) gagnent plus que ceux qui ont accepté de consacrer tout leur travail au système public, et cela malgré le plus d'exclusivité qui leur est accordé. » Enfin, rappelle le Dr Rivas, « près de 40 % des médecins des hôpitaux publics ne sont pas actuellement titulaires d'un poste ».
Conscients du problème, différents organismes publics ou privés français ont déjà commencé à offrir à des médecins espagnols un poste de travail. Une douzaine de médecins depuis septembre 2002 ont même été placés par l'Institut européen de la santé (IES) dans des municipalités du sud-ouest de la France, mais aussi à Arras et dans le Jura, pour exercer en libéral.
L'IES, association émanant de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), a également placé une dizaine de spécialistes dans des cliniques privées françaises et a signé le 11 novembre 2002 avec le Conseil de l'Ordre de Madrid une convention organisant la collaboration entre les deux organismes. D'autres organisations françaises s'intéressent depuis plusieurs mois à l'embauche de médecins espagnols ; c'est le cas par exemple de la Caisse primaire d'assurance-maladie du Vaucluse et de la Caisse primaire de la Haute-Garonne. Quant au groupe Merlane, qui rappelle volontiers qu'il a été l'un des premiers à organiser, dès le mois de décembre 2000, des embauches d'infirmières espagnoles pour les cliniques privées françaises, il affirme « travailler activement sur ce nouveau dossier ».
Dans le domaine public, l'organisation de l'embauche sera opérationnelle dans le courant du mois de février. Car l'Office des migrations internationales (OMI), rattaché au ministère français du Travail, qui a signé en décembre 2001 un accord avec les quatre fédérations hospitalières françaises (la Fédération hospitalière de France, la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privée, la Fédération de l'hospitalisation privée et la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer), a été chargé de ce travail après une nouvelle réunion, le 7 janvier dernier à Paris, avec les fédérations et avec la DHOS (Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins). Ainsi, la localisation de près de 700 postes de spécialistes à pourvoir a déjà été faite et le dossier a été transmis à la délégation de l'OMI à Madrid (ANPE espagnole). La majorité de ces offres françaises porte sur des postes d'anesthésistes, de psychiatres, de radiologues et de gynécologues-obstétriciens.
Sur les 150 000 médecins vivant en Espagne, 7 000, dont environ 2 500 spécialistes, sont inscrits comme demandeurs d'emploi et 20 000 auraient un poste précaire. Mais l'insatisfaction des professionnels de ce pays fait que même un médecin qui exerce peut être intéressé par une offre en France. « Tout dépend des conditions de l'offre », nous dit le Dr Amaya Pombo, de la CESM, qui s'avoue cependant préoccupé : « Qui va se porter garant de la qualité des professionnels qui partent pour la France ? Je ne crois pas qu'un ministère ait les moyens de le faire. »
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