ÉCHOUÉES SUR LE SABLE, les barques bleues et blanches attendent la marée, tandis que les pêcheurs jouent aux dominos au pied d'un vénérable banian dont les racines aériennes pendent sur le sol comme la chevelure d'une gorgone.
Dans le lagon, les « piqueuses d'ourites » chapeautées de paille pataugent dans les flaques, jupes retroussées, à la recherche des poulpes. A l'aide d'une fouine, simple tige de fer, elles les débusquent dans les rochers et le corail avant de les faire sécher au soleil et au vent sur des claies de bois.
Sur le littoral, la route serpente en lacets au-dessus du bleu de l'océan et des nuances émeraude du lagon.
Malgré sa petite taille, Rodrigues possède de grandes variétés de paysages. Etendues d'herbes rases où s'éparpillent roches noires et grises au sud, littoral découpé en dentelles, ponctué de plages et de criques de sable fin à l'est, plaines désertes et âpres évoquant un peu le Connemara irlandais à l'ouest et, au coeur de l'île, paysages vallonnés à la végétation luxuriante, forêts de manguiers et cultures en terrasse. La seule montagne d'importance, le mont Limon, culmine modestement à 398 mètres, mais offre une vue imprenable sur l'ensemble de l'île.
Un peu partout pullulent les étranges vacoas (pandanus), ces rescapés des forêts originelles avec leurs curieuses racines plantées droit dans le sol et leurs feuilles semblables à des lames acérées.
Agriculture et élevage.
Baptisée du nom de son découvreur officiel, le Portugais don Diego Rodriguez, l'île fut occupée de 1601 à 1611 par les Hollandais. Pas plus qu'à Maurice, ceux-ci ne s'attardèrent à Rodrigues, qu'ils considéraient comme une simple escale et surtout comme un garde-manger en raison de l'impressionnante quantité de tortues qui pullulaient dans le lagon. L'appétit vorace des marins eut raison des malheureuses tortues rodriguaises qui furent totalement exterminées, tout comme le solitaire, cousin de l'infortuné dodo mauricien, sorte de gros dindon pataud qui mijota dans les marmites bataves avant de disparaître totalement de la surface de l'île.
Ce n'est qu'en 1691 que la colonisation de Rodrigues, jusque-là vierge de toute trace humaine, débuta, avec l'arrivée du Français François Leguat et de ses compagnons protestants chassés par la révocation de l'édit de Nantes.
Cyclones et solitude eurent cependant vite raison de la petite colonie. Après deux ans, Leguat et ses hommes rejoignirent Maurice, en 1693.
En 1807, les Anglais débarquèrent à leur tour sur Rodrigues, transformée en base avancée pour la conquête de l'île Maurice, dont ils s'emparèrent trois ans plus tard. Sous domination anglaise, Rodrigues se peupla rapidement, passant d'une centaine d'âmes à plus de trois mille à la fin du XIXe siècle.
Contrairement à l'île Maurice, où la culture de la canne à sucre dominait l'économie, la petite Rodrigues se concentra sur l'agriculture et l'élevage. Travailleurs libres, noirs descendants d'esclaves africains et malgaches et descendants de marins bretons installés au tout début de la colonisation, se transformèrent en fermiers, couvrant l'île de champs cultivés (maïs, manioc, patates douces, piments, citronniers, manguiers, etc.) et d'animaux domestiques (boeufs, moutons, chèvres et volailles), à tel point que Rodrigues devint le « grenier » de sa grande soeur Maurice, jusqu'aux années 1930 où, en raison d'un début de surpeuplement – 8 000 habitants à l'époque –, l'île dut se résoudre à ne subvenir qu'à ses propres besoins.
En raison de son long isolement, Rodrigues a gardé en grande partie intacts son authenticité et son charme rustique d'Arcadie tropicale.
Etrangère aux tumultes du monde, sa population – aujourd'hui, environ 36 000 habitants – cultive sa différence et une charmante philosophie créole faite de douceur de vivre où l'indolence n'est pas absente.
Partie intégrante de Maurice, dont elle constitue le dixième district, la petite Rodrigues s'est toujours méfiée de sa grande soeur mauricienne, où la culture créole s'est marginalisée au profit de l'indienne, majoritaire. En 1967, alors que Maurice, encore sous domination britannique, votait « oui » à l'indépendance, Rodrigues vota « non » à plus de 90 %, préférant rester anglaise plutôt que de passer sous la coupe mauricienne. Depuis, les choses se sont arrangées. En octobre 2002, vingt-cinq ans après la création du Parti politique rodriguais (OPR), l'île bénéficie désormais d'un statut d'autonomie.

La capitale Port-Mathurin (DR)
Au nord de l'île, Port-Mathurin, la capitale, seul et unique port de Rodrigues, dégage un charme suranné avec ses vieilles échoppes de bois, ses kiosques et ses maisons coloniales décrépites. L'une d'elles, « La Résidence », a encore de beaux restes. Située rue de la Solidarité, elle fut la demeure des gouverneurs britanniques entre le XIXe et le début du XXe siècle. Bien entretenue, elle abrite aujourd'hui le siège du Conseil exécutif de l'assemblée régionale de Rodrigues. Dans cette bourgade assoupie, d'une dizaine de rues, seul le grand marché du samedi matin apporte un peu d'animation avec l'arrivée des paysans venus des quatre coins de l'île pour vendre leurs limons (savoureux citrons au goût unique dans l'océan Indien), leurs oignons, leurs piments, leurs légumes de toutes sortes, cabris, cochons noirs et volailles, ourites séchées et poissons frais pêchés, et aussi paniers, typiques chapeaux de feuilles de vacoas et jolies nappes brodées.
Une gastronomie unique.
Rodrigues est particulièrement fière de sa gastronomie locale qui a su conserver les saveurs créoles. A la fois simple et délicieuse, la cuisine rodriguaise est unique grâce à la qualité rare de ses produits. Longtemps élément de base de l'alimentation rodriguaise, le maïs sert à confectionner de savoureuses « polentas », qui n'ont rien à envier à leurs cousines transalpines ; élevés en plein air, bovins, ovins, cochons et volailles donnent d'excellentes viandes. Rougail saucisse créole, carri ou omelette d'ourites, salade de papaye, tourte rodriguaise, fricassée de giraumon ou gratin chouchou (christophine) sont autant de plats à savourer dans les restaurants ou les nombreuses tables d'hôtes que compte l'île et où, pour une poignée de roupies, on se régale d'un véritable festin de saveurs. A goûter aussi, le miel (le poulet au miel est un régal !) d'une exceptionnelle qualité et les limons verts qui servent à la confection de la boisson nationale, jus accompagné d'eau gazeuse ou de rhum.
Comme à Maurice, le séga-tambour, importé d'Afrique par les esclaves mozambicains, reste la principale danse populaire à Rodrigues. Longtemps interdit parce qu'utilisé lors des païennes cérémonies vaudoues, le séga-tambour fut remplacé avec l'aval du clergé par le séga-accordéon, jugé plus occidental et donc plus chrétien. Introduit par les navigateurs européens, l'accordéon diatonique est depuis le XIXe siècle de toutes les fêtes rodriguaises. On y danse aux rythmes surannés du laval (la valse), du mazok (la mazurka) ou du koti (scottish) qui, comme son nom l'indique, vient d'Ecosse, ou encore le bon vieux quadrille ; revisitées avec talent, elles sont devenues des danses locales, présentes à toutes les fêtes.
Pour partir
TRANSPORTS
Vols quotidiens Air Mauritius Paris-R-CDG/Rodrigues via l'île Maurice (11 heures + 1 h 30), à partir de 755 euros hors taxes A/R. Renseignements : Air Mauritius, tél. 0890.710.315 et www.airmauritius.fr.
FORMALITÉS
Passeport valable encore six mois après la date de retour.
DÉCALAGE HORAIRE
+ 3 heures, + 2 heures en été.
LANGUES
Créole, français et anglais.
SANTÉ Aucun vaccin obligatoire.
MONNAIE
La roupie mauricienne.
1 euro = 32 RS environ.
CLIMAT
Plus sec qu'à Maurice, agréable toute l'année, avec une température moyenne de 27 °C. Saison humide de décembre à avril et saison sèche de mai à décembre.
HÔTELS
– Cotton Bay Hotel, Pointe Coton (tél. 00 230.831.8002) et www.cottonbayhotel.biz.
Une quarantaine de chambres réparties dans des bungalows ouverts sur le lagon. Décor tropical et service excellent.
Chambre à partir de 90 euros par personne en demi-pension.
– Mourouk Ebony Hotel, Paté Reynieux, Rodrigues (tél. 00.230.832.3351-4) et www.mouroukebonyhotel.com.
Sur la côte Sud-Est, entre savane et lagon, un charmant hôtel familial voué à la détente sportive (planche à voile, plongée en apnée, sports de balle). Excellente table créole. Chambre à partir de 88 euros TTC par personne, demi-pension comprise.
– Pointe Vénus Hôtel & Spa, Mont Venus, Rodrigues (tél. 00 230.832.0100 et www.mauritours.net/rodrigues/
pointevenus.html. Joli 4 étoiles situé à quelques minutes à pied de la capitale.
Chambre à partir de 93 euros TTC par personne, demi-pension comprise.
Chacun de ces trois hôtels possède un centre de plongée et de pêche au gros.
– Résidence Foulsafat (gîte, chambres et table d'hôte), Jean Tac, Rodrigues. Tél. 00.230.831.1760 et http://residencefoulsafat.com
Tout près de Port-Mathurin, la capitale, Antoinette et Benoît Jolicoeur reçoivent en famille dans leur maison face au lagon. Repas : 10 euros. Chambre en demi-pension, 30 euros par personne, avec repas du soir et petit déjeuner.
– Gite La Cabanne, Rivière Coco, Rodrigues. Tél. 00.230.831.9620.
Sur la côte Sud, bon accueil et spécialités rodriguaises. Mme Haydée propose des repas à 7 euros et des chambres à 25 euros en pension complète et 17 euros en demi-pension.
SÉJOURS
Austral Lagons propose des forfaits dans trois hôtels de Rodrigues (Cotton Bay, Mourouk Ebony et Pointe Vénus), à partir de 272 euros par personne les 3 nuits en demi-pension, inclus les transferts A/R, ainsi que des forfaits de 6 nuits en demi-pension, dont 1 nuit gratuite.
RENSEIGNEMENTS
– Office du tourisme de l'île Maurice (Mauritius Tourisme Promotion Authority), 54, rue de Monceau, 75008 Paris. Tél. 01.56.69.75.33 et www.ot-maurice.com.
– Pour Rodrigues : www.rodrigues-island.org.
– Austral Lagons Agence « Au coeur du monde », 31, rue Bonaparte, 75006 Paris. Tél. 01.53.63.84.40 et www.austral-lagons.com.
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