ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
Georges Bataille, le premier, avait soulevé le problème. N'y aurait-il pas, dans l'art moderne, cette « part maudite » cachée dans l'inconscient, refusée par l'ère des lumières, et qui est devenue matière à créer ?
Dans un accrochage très audacieux, mais éclairant, Régis Michel, conservateur en chef au département des arts graphiques du musée du Louvre, trace un itinéraire de cette émergence qu'il fait remonter aux années de la Révolution française, celle-ci ayant justement offert cette double face de la machine humaine : l'idéologie sociale, l'humanisme actif et la chute dans les zones les plus sombres de sa nature primitive.
Quand l'action politique visant une société du bonheur sombrait dans les dédales de la terreur, l'art s'ouvrait aux fascinations des visionnaires. Mais c'était un art des marges, voire clandestin : la peinture, elle, étalant, sous le couvert de sa fonction sociale dirigée par David, les formes et les forces du devoir social. L'artiste agitateur, scrutateur du mal, passe ainsi par l'état du visionnaire.
C'est, dans l'anthologie proposée par l'exposition, le secteur le plus abondamment fourni, et le plus éclectique. Il va de William Blake, ce Dante du dessin, à Fusli, qui s'ouvre au cauchemar et à Goya, lui aussi. Son art le conduit aux frontières de la folie. Le territoire de cette recherche est ainsi délimité. Il va s'organiser entre rêve et ivresse de l'esprit, pour déboucher dans ses finalités contemporaines sur l'agression corporelle, un crime contre le corps après ce qui fut un crime contre l'esprit.
Le modèle social conduit à la discipline, Michel Foucault l'aura démontré, par le modèle carcéral, où « surveiller, c'est punir ». L'art n'échappe pas à ce poids de la censure, des codes et des formulations qu'on lui impose. Toute l'aventure de l'art de la fin du XIXe siècle et du début du XXe s'inscrit dans ce refus des carcans, des lois imposées et des traditions. Mais la survivance, l'exploitation, la complaisance qui accompagne le principe de la « révolte » artistique n'échappent pas, finalement, à une nouvelle forme d'académisme. Ce serait un curieux paradoxe que de voir, dans le développement de l'art contemporain qui s'arroge tous les droits de la provocation, une version rénovée de ce qui devient à son tour un académisme. Le mal fait par dada n'est pas éteint.
La fin de l'humanisme ?
La démonstration de l'exposition, sans l'avoir voulu, pousse à la question qui remettrait en cause jusqu'à cette échappée de l'artiste dans des zones interdites à la norme sociale.
Si l'allusion à Redon ou à Magritte (mais aussi à travers lui à toute une frange du surréalisme) reste dans les conventions muséales aujourd'hui admises, l'introduction des « activistes » autrichiens fait brusquement basculer la cimaise du musée au niveau du trottoir, cet espace et ce lieu de l'expression corporelle qui se veut de l'art et force l'art dans ses derniers retranchements.
Faire cohabiter dans un musée, qui fait étalage de toutes les formes de civilisation depuis ses origines connues, des uvres qui exaltent la recherche d'un idéal (dont celui, tout relatif, de la beauté) et des expressions sacrilèges qui conduisent vers l'horreur du corps, sa crucifixion et des rituels de profanation témoigne bien de l'état mental d'une époque et d'une société qui n'a plus ni borne, ni barrière, ni critère pour survivre. L'introduction de l'assassinat dans le musée n'annonce-t-elle pas la fin de l'humanisme ?
« La peinture comme crime ou la part maudite de la modernité ». Musée du Louvre, hall Napoléon, jusqu'au 14 janvier 2002. Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 17 h 30, jusqu'à 21 h 30 le mercredi. Entrée à l'exposition 25 F (49 F pour un billet : visite du musée + exposition). Un catalogue édité par la RMN.
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