LE RÉCENT PASSÉ de Dominique de Villepin ne plaide pas toujours en sa faveur : on peut même dire que cet homme brillant, cultivé et très diplômé a manqué du bons sens le plus élémentaire quand il a conseillé à Jacques Chirac la dissolution de l'Assemblée en 1997 ; qu'il a puissamment contribué à faire de la France un objet du ressentiment américain ; et qu'il n'a pas eu, avec Jean-Pierre Raffarin, l'élégance qu'on lui attribue généralement.
Mais pour devenir un homme d'Etat, il n'est pas nécessaire d'être parfait. M. de Villepin a les défauts qu'on lui connaît, il est en train d'exposer ses qualités, qui lui rendent bien service.
C'est incontestablement un homme d'action. Il va vite et fort, comme l'ont prouvé les trois premiers mois qu'il a passés au gouvernement. Les Français ont beau se plaindre, ils ont le sentiment que, aujourd'hui, ils sont mieux dirigés. L'opposition a beau le couvrir des sarcasmes et des quolibets naguère réservés à M. Raffarin, elle a tort de ne pas accuser réception du changement et de rejeter, dans le même mépris idéologique (et parfois sectaire), des méthodes de gestion différentes : le chef du gouvernement, comme il ne cesse de le répéter, a été recruté pour réduire le chômage en France. Il semble qu'il y parvienne, mais dans une tâche aussi rude, la moindre des générosités, c'est de lui accorder un peu de temps. Il n'est d'ailleurs pas impossible que si la gauche crie, c'est parce qu'elle craint qu'il réussisse et vole à la dernière minute le pouvoir qui, depuis le 29 mai, semble à la portée de l'opposition.
L'HOMME LE PLUS ADAPTE AU TOURNANT POST-RAFFARIN
Les critiques le rendent sympathique.
Dominique de Villepin n'est ni le chantre exclusif du règne de Chirac, ni vraiment indépendant de la feuille de route que le président lui a confiée. Mais ce qu'il peut avoir d'intelligence et de leadership, il le met au service des objectifs qui lui ont été fixés. Il s'est entouré de compétences qu'on ne saurait rayer d'un trait de plume sous le prétexte qu'elles sont de droite. Fidèle à l'image qu'il projette, il avance impavide sous un déluge de critiques. Cela le rend sympathique, d'autant qu'il donne une impression d'optimisme, de vigueur et même de jeunesse. On ne peut pas lui enlever un centimètre de sa haute taille, qui figure parmi ses meilleurs atouts politiques.
Le gouvernement n'est pas combattu que par les partis de gauche ou d'extrême gauche ; il ne satisfait pas non plus quelques prestigieux commentateurs qui n'oublient pas que le social n'est qu'une des traductions de la santé de l'économie et ne croient pas vraiment qu'en secourant les Français dans la détresse on puisse leur offrir un avenir. Ils n'ont pas tort, mais ils n'ont pas pour tâche de sauver la chiraquie ou, accessoirement, d'avoir pour ambition de se présenter en 2007 ou, quoi qu'il arrive, de ne pas s'aliéner l'opinion. Ce qui apparaît très clairement, c'est que s'il est arrivé à de Villepin de faire trébucher Chirac, il représente aujourd'hui l'homme le plus adapté au tournant post-Raffarin que le président a pris : les Français, dans leur majorité, sont épouvantés par le cynisme des grandes entreprises, il fallait les rassurer ; ils sont terrifiés par la fragilité du filet social, il fallait leur montrer qu'il résiste à une adversité économique qui, non contente d'infliger une intense douleur, l'éternise ; ils ne souhaitent pas faire de trop lourds sacrifices, on tente de les épargner ou de les convaincre qu'ils sont épargnés
Conflit d'idées.
Ce n'est pas une bonne politique. La France a besoin de réformes approfondies et structurelles. Le bras de fer entre la CGT et le gouvernement sur la privatisation de la Sncm est emblématique du conflit d'idées en France : le syndicat veut à lui seul donner un coup d'arrêt à la modernisation de l'économie, en choisissant d'ailleurs le modèle antiéconomique par excellence : une société nationale, un tonneau des Danaïdes pour les deniers du contribuable, des salariés dont l'entêtement, la commisération pour soi, le mépris de tous les autres sont épicés par le piment corse. Villepin a répété lors de sa prestation télévisée, jeudi dernier, qu'il fallait privatiser et que la privatisation est préférable pour les salariés eux-mêmes ; mais la CGT, elle, espère, en gagnant la bataille de la Sncm, enrayer l'évolution du pays vers plus de libéralisme.
De même que Chirac l'Européen trouve la Commission de Bruxelles bien indulgente à l'égard de Hewlett Packard, de même Villepin, qui ne nous a jamais dit où il se situait personnellement, n'est pas insensible aux effets de la l'affairisme sur le sort personnel de nombre de ses concitoyens. Il a donc rejeté le mot de rupture dont Nicolas Sarkozy a fait son étendard. Bien que la rupture soit indispensable, le terme lui-même a été marginalisé. De sorte que le Premier ministre prétend mettre en œuvre une politique « sociale », ou même compassionnelle, alors qu'il s'efforce en réalité, comme à la Sncm, de lisser le tissu social français pour qu'il se débarrasse de systèmes périmés et coûteux.
Il ne ment pas.
Dominique de Villepin affirme qu'il ne pense pas à la présidence en 2007. Il ne ment pas vraiment, même s'il ne trompe personne : tout aux fourneaux de la gestion quotidienne, il n'a guère le temps de songer à son avenir. De plus, il ne peut progresser que par étapes. Il ne sera pas candidat s'il échoue dans sa tentative de redresser la France ; il le sera s'il obtient des résultats convaincants. Ces dernières semaines, il a incontestablement marqué des points contre son rival potentiel, M. Sarkozy. Lequel est fondé à lui adresser un reproche, à savoir que l'ancien ministre des Affaires étrangères, l'ancien directeur du cabinet de l'Elysée ne s'est jamais fait élire nulle part. Bien vu. On dit aussi qu'il n'y a pas eu, depuis Pompidou, de Premier ministre qui soit devenu président. Mais l'histoire fait ce qu'elle veut : elle peut innover, elle peut casser les règles imposées par la tradition, elle peut, après tout, récompenser le vice plutôt que la vertu.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature