La thèse de l'assassinat de l'empereur est récente et repose sur la découverte d'une concentration anormalement élevée d'arsenic dans des cheveux supposés lui appartenir. La présence d'arsenic suffit-elle à prouver une intoxication par empoisonnement ? C'est pour le savoir que « Science et Vie » a décidé de confier l'enquête à trois scientifiques français, le Pr Ivan Ricordel (directeur du laboratoire toxicologique de la préfecture de police de Paris), Pierre Chevallier (LURE, laboratoire pour l'utilisation du rayonnement électromagnétique, à Orsay) et Georges Meyer (CEA, Paris).
« Nous avions ainsi la possibilité de vérifier si l'analyse des cheveux était crédible pour le diagnostic d'une intoxication à l'arsenic », explique le Pr Ricordel. « Notre programme de recherche a été validé par des instances indépendantes », ajoute-t-il.
Après examen en microscopie optique puis lavage dans des bains successifs d'eau et d'acétone, les échantillons de cheveux (n= 19) ont été soumis à un rayonnement synchrotron et le spectre de fluorescence X a été analysé.
Le synchrotron est un accélérateur de particules dans lequel les électrons déviés par un champ magnétique et accélérés émettent un rayonnement (dit synchrotron) sous forme d'un faisceau intense de photons. Ce faisceau lumineux va ensuite frapper l'échantillon à analyser.
Les atomes de l'échantillon sont alors excités et, lorsqu'ils reviennent à un état stable, émettent des rayons X d'une énergie caractéristique des éléments chimiques présents dans l'échantillon. Une réponse dans un niveau d'énergie de 10,5 kilo-électrovolts correspond à la présence d'arsenic. L'intensité des radiations émises (amplitude du signal perçu) est proportionnelle à la quantité d'arsenic. La méthode est très sensible et permet de plus de sélectionner une énergie particulière pour favoriser la recherche d'un élément chimique donné, ici l'arsenic.
La mesure peut être répétée en des points distants de moins de 1 millimètre, ce qui permet de déterminer la répartition exacte de l'arsenic sur le cheveu. De plus, la fibre capillaire n'étant pas détruite, les mesures peuvent être répétées, ce qui assure la reproductibilité de la méthode.
Dix-neuf mèches de cheveux ont été ainsi examinées, dont certaines coupées en 1805, en 1814 (à l'île d'Elbe), entre 1816 et 1821 (séjour à Sainte-Hélène) et le jour de sa mort (5 mai 1821). « Tous les échantillons contenaient des doses massives d'arsenic entre 15 et 100 ppm (parties par million) en moyenne », rapporte Pierre Chevallier. Les cheveux coupés avant l'exil (1805 et 1814) sont déjà imprégnés d'arsenic (les valeurs supérieures à 3 ppm sont anormales) et la répartition du poison sur les cheveux est assez homogène. Toutefois, certains capillaires (1821) présentent des concentrations massives ponctuelles.
Des mèches appartenant aux sœurs de Napoléon, Pauline, Caroline et Elsa, ont aussi révélé une forte concentration d'arsenic (respectivement 13, 6 et 3 ppm).
Ces éléments semblent exclure la thèse de l'intoxication, mais ils seraient plutôt en faveur d'une origine exogène. Le cheveu est un matériau poreux qui a une grande affinité pour l'arsenic. Des travaux antérieurs ont déjà montré qu'un simple lavage ne permet pas de le débarrasser de tout l'arsenic exogène.
Or, à l'époque de l'empereur, les sources de contamination étaient nombreuses (bois de chauffage, colle de papier peint, mort aux rats...). Cependant, l'hypothèse la plus plausible, selon les chercheurs, reste l'utilisation de l'arsenic pour conserver les précieuses reliques. Cet usage était fréquent au XIXe siècle.
Carcinome indifférencié
La thèse de l'empoisonnement semble bien réfutée. Restent les arguments médicaux que nous avons déjà développés. Un ouvrage du Dr Guy Rérolle et coll., « Point final..., Sainte-Hélène, 5 mai 1821 »*, reprend l'ensemble de ces arguments. Le Dr Pierre Dusserre (anatomopathologiste, Dijon), qui y a collaboré, assure au « Quotidien » : « D'après mon expérience d'anatomopathologiste, il s'agit d'un carcinome indifférencié à cellules en bagues à chaton. C'est le seul cas où la description macroscopique des lésions permet d'évoquer fortement le résultat microscopique. »
Cancer plutôt qu'empoisonnement. Mais laissons, pour finir, la parole à l'historien Jean Tulard, spécialiste de Napoléon. « Aucun des témoins de la fin de Napoléon n'avait parlé d'empoisonnement », commente-t-il, avant d'observer : « Argument fondamental, lorsqu'en 1831, Alexandre Dumas fait jouer sur la scène de l'Odéon sa pièce sur la vie de Napoléon, du siège de Toulon à sa mort. Il ne pense même pas à l'empoisonnement qui aurait fait rebondir son dernier acte .» L'inventeur du mythe du jumeau de Louis XIV (l'affaire du masque de fer) aurait-il manqué à ce point d'à-propos ?
* Comedia, octobre 2002.
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