L'ACCUEIL QU'ONT réservé les médecins du travail au plan Santé au travail présenté la semaine dernière par les ministres Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher (« le Quotidien » du 18 février) est plus que froid. Plusieurs raisons à cette grande réserve, et d'abord le contexte dans lequel est venu s'inscrire ce nouveau plan, quelques mois après que, l'été dernier, un décret réformant la pratique de la médecine du travail a fait l'effet d'un coup de tonnerre.
Publié en juillet, étape de la lente transformation de la médecine du travail en service de santé au travail entamée en 2000, ce texte a fait passer de 12 à 24 mois la fréquence de la consultation médicale périodique des salariés, plafonné à 450 le nombre d'établissements par médecin du travail à temps plein, à 3 200 le nombre annuel d'examens médicaux et à 3 300 l'effectif de salariés placés sous surveillance médicale. « Du point de vue des moyens, ce décret est une horreur, accuse le Dr Lionel Doré, président du Snpmt (Syndicat national professionnel des médecins du travail) ; il aboutit à une démédicalisation de la santé au travail alors que, plus que jamais, les besoins sont bien là ». S'arrimant sur ce socle très contesté, le plan Santé au travail ne pouvait, c'est une évidence, répondre aux attentes des praticiens. « Il eût fallu, insiste le Dr Doré, qu'il n'y ait pas ce décret qui assassine l'opérationnalité de la médecine du travail. »
Le fait que les représentants des quelque 7 000 médecins du travail n'aient été consultés que de loin pour l'élaboration du plan Borloo-Larcher, confiée aux partenaires sociaux, n'arrange évidemment rien. « On nous a réunis, on nous a dit : "Voilà notre plan, qu'est-ce que vous en dites ?" mais personne n'a entendu notre réponse », raconte le Dr Bernard Salengro, président du Sgmt (Syndicat général des médecins du travail, rattaché à la CGE-CGC). Or, s'insurge Lionel Doré, « on ne fera pas la santé au travail sans les professionnels ! Comment promouvoir la santé publique sans les médecins ? »
Absents des discussions préparatoires, les médecins du travail s'estiment aussi absents du contenu du plan d'action arrêté la semaine dernière. « Les médecins en sont les grands oubliés alors qu'ils sont l'armée de base, au contact des salariés », analyse Bernard Salengro.
« Poudre aux yeux ».
Plus grave, les médecins doutent de l'efficacité du plan. « Effet d'annonce », « poudre aux yeux », « montagne accouchant d'une souris », « contradiction », « inachèvement »... les expressions ne leur manquent pas pour décrire le nouveau dispositif de réduction des risques professionnels. « M. Larcher est un remarquable communicant, à la limite de l'illusionnisme, puisqu'il nous sort des mesures qu'il n'assortit d'aucun délai, d'aucun moyen... Il prend des décisions qui ont déjà été prises, installe des groupes de travail qui pourraient - on emploie le conditionnel - envisager de réfléchir à une solution... », ironise le Dr Salengro.
Sans jeter le bébé tout entier avec l'eau du bain - la création de l'agence publique chargée de la santé au travail, même si des doutes existent sur les moyens qui lui sont attribués, est saluée, tout comme l'installation d'un comité interministériel ou la sensibilisation de l'ensemble des médecins aux risques professionnels -, les médecins du travail trouvent beaucoup de motifs d'insatisfaction dans le plan Santé au travail.
En particulier, le renforcement du contrôle laisse les praticiens sur leur faim. Bernard Salengro s'explique : « Cherchons le nombre d'embauches prévues pour l'inspection du travail. On ne le trouve pas. Pourtant, la France compte 30 % d'inspecteurs de moins que la moyenne européenne. Nous sommes au niveau de la Slovaquie ! Or qu'est-ce qui motive un employeur sinon la crainte du règlement et de la pénalité ? » Ironie supplémentaire, le président du Sgmt note qu' « on va former les inspecteurs à la médecine du travail. Quel va être le résultat ? Les rares qui sont sur le terrain vont être envoyés en formation. Il y en aura encore moins pour effectuer les contrôles ». Le Dr Doré résume : le contrôle ne sera renforcé « que si et seulement si des moyens suffisants sont mis en place ».
Quelle place et quels moyens ?
Les « moyens », leitmotiv dans le discours des médecins du travail, remettent sur le tapis le décret de juillet dernier : « On ne peut pas, Lionel Doré est catégorique, améliorer la qualité de la santé au travail alors que la réforme même de la médecine du travail ne permettra pas d'aboutir à ce résultat sur le terrain. Or, dans le plan, tout ce qui est opérationnel, tout ce qui relève directement du terrain n'est pas traité ». Pour la Fédération patronale des services interentreprises de santé au travail (le Cisme, qui, tout en relevant des « zones d'ombre » dans le plan, salue « un texte de compromis »), les médecins ne regardent pas les choses par le bon bout de la lorgnette : « Le plan Santé au travail va très au-delà des services de santé au travail, explique Gabriel Paillereau, délégué général du Cisme. Or les médecins, qui ont déjà du mal à se situer par rapport aux services de santé au travail, ont, logiquement, encore plus de mal à trouver leur place dans le cadre d'un plan plus vaste encore. Le défi à relever est le suivant : réussir le passage de la médecine du travail aux services de santé au travail puis intégrer harmonieusement ces services au plan 2005-2009 ».
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