La proposition de l'Arabie saoudite (tous les Etats arabes reconnaissent Israël s'il évacue complètement les territoires occupés) a fait d'énormes vagues dans les chancelleries du monde entier.
Il y a de bonnes raisons à ce retentissement. Un pays arabe théocratique fait, pour la première fois, une offre de paix, alors que le nom seul d'Israël écorche la langue de ses dirigeants. La proposition tombe comme un pavé très lourd dans un océan de violence dont personne n'a su, à ce jour, contrôler les tempêtes. Les Américains totalement passifs, l'ONU impuissante, l'Europe pratiquement désespérée se raccrochent donc à ce coup d'éclat comme les naufragés aux débris du « Titanic ».
Une salve d'applaudissements
C'est le prince Abdallah, régent du royaume pendant la maladie du roi Fahd, qui a énoncé ses idées au « New York Times ». Après quarante-huit heures d'indifférence, une salve d'applaudissements a réussi à recouvrir le bruit des bombes. Un sommet arabe doit avoir lieu à Beyrouth vers la fin du mois. Ariel Sharon n'avait pas plus tôt repoussé l'offre du prince que le président israélien, Moshé Katsav, l'invitait à Jérusalem, que la gauche israélienne, prostrée jusqu'alors, s'emparait de la proposition, saluée par Shimon Peres comme un progrès. Tous les pays arabes, sauf la Syrie, la Libye et l'Irak, ont déjà entériné le plan Abdallah. De telle sorte que son auteur, qui faisait mine de retirer ses propositions à la suite des incursions de l'armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie, a fini par les maintenir, peut-être malgré lui.
L'Iran s'est quand même permis de dire que les idées d'Abdallah ne contenaient rien de nouveau : l'échange paix contre territoires est à la base même des accords d'Oslo. Le président égyptien, Hosni Moubarak, a fait valoir que le plan saoudien serait très difficile à mettre en uvre, ce qui montre qu'il a mesuré la détermination de M. Sharon à faire passer la sécurité avant la paix et à ne pas évacuer les implantations.
Le Premier ministre israélien continue à traiter le problème par des moyens militaires. Pas plus que Ryad n'a empêché les attentats de se multiplier, elle n'a empêché M. Sharon d'aller chercher leurs auteurs dans deux camps de réfugiés et de faire beaucoup de victimes. La guerre fait rage au moment même où l'on reparle de la paix.
Il est vrai cependant que les Américains sont sortis de leur léthargie : ils ont exigé « la plus grande retenue » des forces israéliennes. Kofi Annan a carrément dénoncé l'intervention militaire dans les camps. On admettra néanmoins que si les mots n'ont pas beaucoup d'influence sur M. Sharon, confronté à une vague d'attentats sans précédent, l'état d'esprit des grandes puissances a évolué. Comme le dit Yasser Arafat, il n'y aura pas de progrès sans les Etats-Unis.
Une question de timing
M. Sharon a toutes les cartes en main pour faire capoter l'initiative saoudienne. Il lui suffit, pour commencer, d'empêcher M. Arafat de se rendre au sommet de Beyrouth. Il peut aussi recourir à un discours diplomatique convaincant : l'Egypte et la Jordanie ont déjà reconnu Israël et signé avec lui des traités de paix, toujours en vigueur. Le prince Abdallah n'a pas rallié tous les pays arabes. La question de la sécurité d'Israël ne sera pas réglée par l'évacuation : s'il s'agit de créer un Etat palestinien capable de lancer des attaques contre Israël, une fois que ses forces auront quitté les territoires, la paix ne sera qu'illusoire.
La question du timing est, comme d'habitude, essentielle : la notion d'échange ne va pas sans simultanéité. Si on peut dater l'évacuation, on ne peut pas en faire autant pour la sécurité d'Israël. Si la Syrie, l'Irak et l'Iran continuent à acheminer des armes au Hezbollah, au Hamas et au Djihad, ce sera, pour Israël, un marché de dupes. Ce que ne dit pas Sharon, c'est qu'il n'a pas été élu pour évacuer les colons et qu'il n'est pas destiné à appliquer ce genre de programme.
On s'interrogera, en outre, sur les motivations de l'Arabie saoudite. Les attentats du 11 septembre l'ont fait apparaître aux Américains comme un creuset de l'intégrisme qui a fourni des régiments au terrorisme ; elle a accentué la dimension religieuse du pouvoir saoudien pour calmer les intégristes ; elle les a laissés se battre sur les fronts extérieurs pour avoir la paix intérieure.
Un gage aux Etats-Unis
Il lui fallait, dès lors qu'était connu et largement publié le circuit du terrorisme fondamentaliste, donner un gage à Washington. Elle avait commencé par publier dans les grands journaux occidentaux, américains plus particulièrement, des pages de publicité qui exaltaient son « modernisme ». Elle devait faire mieux. D'où l'offre du prince Abdallah, qu'il a faite sans doute pour dédouaner son pays, mais qui a eu tellement de succès (il aura été le plus surpris) qu'il n'a pas pu la reprendre.
Le prince n'en a pas moins donné un formidable coup de barre à la politique de son pays. Qu'il se range du côté de la Jordanie et de l'Egypte n'est pas du tout insignifiant ; c'est un défi aux intégristes saoudiens, nombreux et dangereux. Il fait donc courir un risque à son propre régime, qui n'est fort que de l'obscurantisme qu'il fait régner.
Inversement, il fallait un Sharon pour ne pas trouver, dans les propos du prince saoudien, une ouverture diplomatique extraordinaire, un pas vers la normalisation, l'acceptation de l'existence même de l'Etat juif, qui a été niée pendant 55 ans par une majorité d'Arabes. Si l'accord était conclu, le seul fait que l'Arabie le signe suffirait à rendre caduques les attitudes agressives de la Syrie, de l'Irak et des mouvements terroristes.
Cela dit, Israël a besoin d'autre chose que des supputations sur les conséquences morales, historiques ou diplomatiques d'un acte retentissant. Damas, Bagdad, Téhéran, le Hezbollah et les autres n'auront pas nécessairement honte d'être dépassés par l'histoire et pourraient s'accrocher à la violence comme le virus au corps malade.
C'est vrai. Mais M. Sharon prend des risques pour la sécurité, avec de bien mauvais résultats ; il devrait maintenant les prendre pour la paix.
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