C'ETAIT UNE PRIORITE pour Jacques Chirac il y a deux ans, cela reste une priorité aujourd'hui. La défaite infligée à son camp lors du scrutin des régionales n'y change rien. La réforme de l'assurance-maladie reste un « grand défi », un « grand enjeu », un « sujet (...) vital », un « point tout à fait central pour notre pays et notre pacte social ».
Lors de son intervention télévisée de jeudi dernier, le chef de l'Etat a clairement affirmé qu'il n'entendait pas renoncer à assurer l'avenir de la Sécurité sociale. Dans les mots, il s'est même fait pressant, en insistant sur la nécessité d'agir vite, en appelant à la rescousse l'exemple des retraites - l' « urgence » qu'il y a à réformer l'assurance-maladie est la même que celle qu'il y avait à réformer les retraites, a dit le président de la République, avant d'enfoncer le clou : ne pas ouvrir ce chantier, c'est aller droit « dans le mur ». Inéluctable, la réforme ne se fera pas sans souffrance : il va être nécessaire de « changer nos comportements » et « il faudra naturellement prendre des mesures de redressement », a confié Jacques Chirac, avant d'ajouter que ces mesures n'étaient « pas décidées du tout », mais qu'elles étaient « essentielles » et qu'elles seraient « difficiles ».
Exit les ordonnances.
Comment les choix - parfois, donc, douloureux - seront-ils faits ? Certainement pas par ordonnances, a promis le président, qui a dissipé ce faisant l'inquiétude - voire la colère en ce qui concerne la gauche - soulevée depuis quelques semaines par un projet de loi autorisant le gouvernement à procéder ainsi pour la Sécurité sociale (« le Quotidien » des 17 et 19 mars). Au nom de la « transparence », il n'en est plus question, a tranché le chef de l'Etat qui a « récusé le recours aux ordonnances ». Oubliant singulièrement au passage la façon dont le plan Juppé fut mis en musique en son temps, il a expliqué que « la Sécurité sociale en général, l'assurance-maladie en particulier », n'étaient « pas du tout un domaine où l'on peut opérer par le recours aux ordonnances ».
Les ordonnances aux orties, Jacques Chirac fait donc le pari de la loi. Sachant que le gagner n'a rien d'évident, il a sorti jeudi la carte de l' « accord national », lançant aux partenaires sociaux comme à l'opposition un vibrant appel au rassemblement. Il faut procéder sur l'assurance-maladie comme on l'a fait sur la laïcité pour laquelle, a rappelé Jacques Chirac, « il y a eu un débat de fond » ; il a permis d'arriver « à une solution qui a été approuvée aussi bien par l'opposition que par la majorité ». Il faut aussi, si l'on en croit le président, s'inspirer de l'Allemagne [où le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder et l'opposition chrétienne démocrate (CDU-CSU) se sont entendus l'an dernier pour réformer leur système d'assurance-maladie].
Appel du pied, également, au Medef, qui a quitté - et le président de la République, manifestement, le regrette - la gestion des caisses de Sécurité sociale à l'automne 2001. Car, pour le chef de l'Etat, aujourd'hui, « les organisations syndicales et professionnelles ne sont pas à leur place. Dans l'esprit et la ligne du pacte social de 1945, le pilote, c'était les partenaires sociaux. Cela doit revenir ».
Un calendrier flou.
Le plus grand flou continue de régner sur le calendrier de la réforme. Si Jacques Chirac a parlé d' « urgence », il n'a précisé à aucun moment si le calendrier de Jean-François Mattei serait tenu : document d'orientation gouvernemental dans la seconde quinzaine d'avril, négociations avec tous les syndicats de mai à mi-juin, réforme bouclée avant le 14 juillet. Mais, de toute façon, les choses paraissent compromises à plus d'un titre.
Un, l'arrivée d'une nouvelle équipe Avenue de Ségur rend assez hypothétique l'idée d'un texte d'orientation ficelé dans moins de dix jours. Deux, ce n'est peut-être pas en quelques semaines que l'on réussira, ainsi que le souhaite Jacques Chirac, à faire revenir le patronat dans le giron du paritarisme. Trois, on ne parvient pas à un « accord national » en cent jours - en Allemagne, il a fallu plus d'un an pour que majorité et opposition se mettent d'accord. Quatre, le choix de la loi en lieu et place des ordonnances allonge considérablement la procédure.
C'est décidément une mission bien délicate - un « défi », a concédé le chef de l'Etat - que viennent d'accepter Philippe Douste-Blazy, le nouveau ministre de la Santé et de la Protection sociale, et le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie, Xavier Bertrand (voir page 4).
Le PS attend que le flou se dissipe
SI LE PARTI socialiste juge « sage » que le chef de l'Etat ait renoncé à réformer l'assurance-maladie par ordonnances, l'appel au rassemblement lancé (en particulier à l'opposition) par le président de la République ne soulève pas a priori l'enthousiasme dans ses rangs. « Nous attendons de connaître les orientations du gouvernement , or à ce sujet, Jacques Chirac est resté flou et ambigu. C'est à partir de ces pistes que nous pourrons arrêter notre position », explique le Dr Claude Pigement, délégué national du PS aux professions de santé.
Pour lui, le rapprochement fait par Jacques Chirac entre le dossier de la laïcité et celui de l'assurance-maladie n'est pas forcément judicieux : « Les deux problèmes sont différents. Autant sur la laïcité, droite et gauche ont pu se retrouver sur des valeurs républicaines, autant, en matière de protection sociale, nos démarches, nos cultures, nos histoires politiques... nous séparent. »
Pessimiste, Claude Pigement prévient que si les idées de réforme avancées « sous Raffarin II » (comme la taxation de un euro par boîte de médicaments ou par feuille de soins) prévalent, il n'y aura « pas d'approche commune » majorité-opposition.
Quant à la décision de confier les manettes de la réforme à Philippe Douste-Blazy et à Xavier Bertrand, elle laisse le Dr Pigement perplexe. « Avec Douste-Blazy à la Santé, on se retrouve onze ans en arrière. C'est extrêmement nouveau, imaginatif... Reste à voir si Douste-Blazy II sera mieux que Douste-Blazy I. Le secrétaire d'Etat à l'assurance-maladie a travaillé, lui, sur le dossier des retraites. Espérons qu'il fera preuve de davantage de concertation sur l'assurance-maladie et que son métier d'origine - agent d'assurance - ne l'influencera pas dans ses décisions. ».
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