O N devrait se réjouir de l'ouverture aujourd'hui à Durban (Afrique du Sud) de la conférence mondiale contre le racisme. On craint au contraire qu'elle ne permette l'expression de quelques formes vigoureuses d'intolérance.
Avec l'Autorité palestinienne, quelques délégués à la réunion préparatoire ont suggéré la rédaction d'une résolution qui assimilerait le sionisme au racisme. Pour être très ancienne, l'idée n'en pas moins la peau dure. En 1975, les Nations unies, dominées par les Etats du tiers-monde, avaient en effet adopté, par 72 voix contre 35 et 33 abstentions, une résolution affirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de domination raciale ». Il a fallu attendre seize ans, c'est-à-dire la fin de la guerre froide, pour que ce texte scélérat fût aboli.
Il n'y a pas longtemps, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a déclaré que le texte, qui a contribué à ternir le prestige de l'organisation, était une manifestation « lamentable d'antisémitisme ». Ce qui n'a pas dissuadé les Palestiniens d'engager une bataille diplomatique pour réhabiliter la résolution.
Grâce à Mary Robinson, haut-commissaire de l'ONU pour les Droits de l'homme, la proposition a été définitivement écartée.
Powell n'y va pas
Mais Israël et les Etats-Unis n'ont pas été assez rassurés pour participer à la conférence mondiale autrement que par des diplomates de rang peu élevé. Le secrétaire d'Etat, Colin Powell, qui est Noir, a en tout cas annoncé qu'il ne se rendrait pas à Durban, ce qui a déçu bon nombre de pays participants.
Au niveau des chefs d'Etat, la représentation sera faible : Fidel Castro, Yasser Arafat, Päul Kabila (Congo), Aboulaye Wade (Sénégal) et les présidents de quelques pays africains ou latino-américains.
Sans doute l'ambition des organisateurs de la conférence était-elle excessive : la question du racisme mérite certes d'être traitée de manière exhaustive. Mais il s'agit d'un travers si largement répandu que les participants devraient commencer par faire leur mea culpa. Au lieu de quoi chacun dénoncera le racisme de l'autre, qu'il pourra abondamment documenter, et réfutera simultanément les accusations dirigées contre lui.
Pour ne prendre qu'un exemple, on peut très bien démontrer que le racisme est resté vivace dans la société américaine. Mais l'arsenal des dispositions juridiques et administratives des Etats-Unis est dirigé vers la protection des droits des minorités. On ne peut pas en dire autant d'une foule d'Etats qui pratiquent le racisme de facto bien qu'ils en dénoncent tous les jours les perversités. En conséquence, une critique adressée aux Etats-Unis doit être assortie d'un constat des faits au Soudan, qui extermine les Noirs du sud à la faveur d'une guerre civile, ou d'une dénonciation de la presse égyptienne, qui profite du conflit israélo-palestinien pour attaquer les Juifs où qu'ils soient et d'où qu'ils viennent. Quand Farouk Kaddoumi, dirigeant palestinien qui a rejeté les accords d'Oslo, réaffirme à Durban qu'Israël est un Etat raciste, alors que les enfants palestiniens sont éduqués dans la haine des Juifs, on peut se demander si l'Autorité palestinienne elle-même n'aurait pas de comptes à rendre dans ce domaine.
L'ONU est une organisation politique, concernée au premier chef par les conflits internationaux et le danger, pour la conférence de Durban, est de ne considérer le racisme que sous l'angle politique. Par exemple, il y a une guerre entre les Israéliens et les Palestiniens et si la guerre est assimilée à la forme la plus brutale du racisme, alors sont racistes tous ceux qui participent à des conflits militaires.
L'esclavagisme n'a pas disparu
De la même manière, les Noirs américains sont fondés à critiquer le fonctionnement d'une société où le réflexe raciste est répandu. Mais d'aucuns exigent des indemnités pour l'esclavagisme passé des Etats-Unis. Leur logique est compréhensible. Le vrai problème, c'est que l'esclavagisme des Noirs, des enfants africains ou asiatiques, des Soudanais, n'a pas encore disparu. Les Etats africains unis contre les Occidentaux par la mémoire de crimes inexpiables ne peuvent pas ignorer, dans le même temps, la situation qui règne en Afrique, où le racisme a abouti, il y a quelques années à peine, au génocide rwandais. Racisme ? Tribalisme plutôt, mais les résultats sont les mêmes, de sorte qu'on ne saurait ignorer le racisme antifemmes qui sévit en Afghanistan ni le racisme des intégristes algériens qui les conduit à assassiner leurs frères et leurs surs, comme les Khmères rouges ont exterminé il a vingt-cinq ans leurs compatriotes, sous le prétexte qu'ils étaient « occidentalisés ».
Pulsion de haine
Le racisme est une pulsion de haine incontrôlée. Le XXe siècle aura été celui où la haine des hommes contre d'autres hommes s'est exprimée de la manière la plus brutale, nazis contre Juifs, Japonais contre Chinois ou Coréens, Slaves contre Bosno-musulmans, protestants contre catholiques, Blancs contre Noirs, la liste est interminable des crimes de l'humanité contre elle-même. Un problème de cette ampleur mérite sans aucun doute un congrès mondial des bonnes volontés. Mais nul n'est vraiment innocent parmi ceux qui assistent à la conférence de Durban. Laquelle doit commencer par éviter de sombrer dans l'intolérance qu'elle veut dénoncer et d'accuser les victimes du crime qu'elles ont subi. Qu'ils nous disent, les délégués à la conférence ce qu'ils font chez eux pour combattre le racisme. Plutôt que de s'attaquer aux autres sans se soucier de leurs propres fautes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature