Nous devons nous préparer à une longue période d'incertitude et de difficultés. On ne pouvait pas attendre d'autre discours de George W. Bush que celui qu'il a fait jeudi soir devant le Congrès. Le président des Etats-Unis s'est montré martial, déterminé, prêt à traverser, au nom de la justice réclamée par les Américains, une longue phase de difficultés.
Il n'a en effet exclu aucune des ripostes que lui offre son arsenal. Le gouvernement américain n'est nullement insensible aux arguments avancés par tous ceux qui, aux Etats-Unis ou à l'étranger, lui ont fait valoir d'une part l'immoralité de sanctions infligées à des innocents et, d'autre part, l'inefficacité d'une guerre classique en Afghanistan.
L'ultimatum aux taliban
De ce point de vue, le rejet total des propositions faites par les taliban (qui se sont contentés de demander à Ben Laden d'aller ailleurs) et l'ultimatum (en des termes d'une fermeté extrême) qu'il leur a lancé, peuvent paraître téméraires : une attaque terrestre contre l'Afghanistan montagneux se solderait aussi par de nombreuses victimes du côté américain. Mais personne n'aurait compris que les Etats-Unis ne montrent pas leurs muscles. M. Bush a prononcé les mots qui vont avec le sentiment qu'il a de ses moyens et du rôle de son pays dans le monde.
D'ailleurs, il n'a pas dit où et quand il frapperait. Et son premier soin, dans cette guerre qui est principalement celle du renseignement, du secret et de la surprise, consiste à ne pas montrer ses cartes. Quelques régimes orientaux peuvent être inquiets, notamment l'Irak, dont il n'est pas certain encore qu'il n'ait pas participé à l'opération du 11 septembre. La seule chose de sûre, c'est que l'Afghanistan, d'une manière ou d'une autre, n'en sortira pas indemne.
Le danger reste immense pour plusieurs raisons :
les réseaux terroristes, y compris aux Etats-Unis, ne sont pas démantelés et font peser sur la sécurité de nombreux pays une menace très sérieuse.
Cent soixante-dix personnes ont été interpellées aux Etats-Unis, mais l'enquête est encore confuse, notamment parce que plusieurs des kamikazes qui ont péri le 11 septembre ont emprunté l'identité de sujets arabes qui n'ont rien à voir avec les attentats.
Le réflexe des Européens a été bon : une chasse à l'homme planétaire a été entreprise depuis l'arrestation à Dubai d'un terroriste qui a confirmé ses liens avec Oussama Ben Laden et était chargé de commettre un attentat-suicide contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris.
Une course contre la montre
On est satisfait d'apprendre que des mesures de prévention sont prises, mais on sait en même temps que toute action militaire américaine se traduira par une recrudescence du terrorisme. C'est une course contre la montre. Il faut empêcher les attentats en cours de préparation, et arrêter les groupes dormants. La tâche n'est pas facile. Le pire, c'est que le 11 septembre n'est qu'un début.
L'Amérique est objectivement affaiblie au moment où elle se lance dans une aventure militaire de longue haleine, donc très coûteuse.
Les marchés financiers ont perdu toute confiance. Les Américains sont appauvris par la chute des cours, la réparation des dommages causés par les attentats se chiffre en milliards de dollars, la consommation va baisser parce que personne n'a vraiment envie de se distraire en ce moment, le chômage va augmenter aux Etats-Unis, 2002 devrait être une année de récession.
Or la marge de manuvre budgétaire de M. Bush est limitée : il vient d'accorder des baisses d'impôts qui ont fait fondre l'excédent budgétaire et ses recettes fiscales vont encore diminuer. Une mesure, dont la sagesse est contestée, consisterait à supprimer la baisse d'impôts pour l'exercice qui va du 1er octobre 2001 au 30 septembre 2002 et récupérer ainsi 150 milliards de dollars.
Mais tout le monde n'est pas de cet avis. Certains pensent qu'au moment où la consommation chute, il est préférable d'injecter des capitaux dans l'économie. Il est probable que le très libéral M. Bush poursuivra le soutien à l'économie en se servant du levier fiscal.
L'unilatéralisme entre parenthèses
Les réseaux terroristes ne resteront pas inertes. Ceux qui ont détourné des avions se sont fondus pendant de longs mois dans la société américaine et les autres risquent d'échapper à la police.
Une confrontation directe entre les armées américaines et certains Etats ranimerait aussitôt les réseaux dits dormants. C'est pourquoi toutes les actions doivent être conduites simultanément. Or, d'après ce qu'en dit notre ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, le gouvernement de M. Bush a mis entre parenthèses ses ambitions d'ordre idéologique. Il a mis en veilleuse son projet de boucliers antimissiles ; sa diplomatie est extrêmement active en Europe et, surtout dans le monde arabe ; il exerce des pressions considérables sur Israël et les Palestiniens qui continuent à se battre malgré la trêve, parce qu'il ne veut pas que la crise du Proche-Orient alimente un peu plus la haine exacerbée des islamistes ; il veut, en somme, tenir en respect les réseaux terroristes pendant qu'il se bat ailleurs.
Bien que M. Bush ait parlé de coalition antiterroriste, les Américains se dispenseront de la coopération militaire des Européens s'ils tiennent à attaquer certains pays. Mais, jusqu'à présent, l'« unilatéralisme » de la nouvelle administration n'a plus cours. La concertation avec les alliés n'a pas cessé une seconde depuis le 11 septembre. Certains conseils, de Jacques Chirac et de Tony Blair notamment, semblent avoir été entendus. Le filet que l'Amérique lance sur les terroristes est si large qu'elle a besoin de tous ses amis, y compris dans le monde arabe et musulman.
En France, où des arrestations ont déjà eu lieu, nous ne pouvons espérer rester à l'écart de ce conflit mondial d'un type nouveau. Nous devons, nous aussi, faire face au terrorisme et devancer ses actions. Nous devons rester d'une vigilance extrême pour tout ce qui a trait au transport aérien et aux rassemblement de foules. Rien ni personne ne nous oblige à bombarder l'Afghanistan et nous ne le ferons pas.
Mais la récession risque de gagner nos rivages. La démoralisation des agents économiques est grande. Elle n'aurait pas duré si le calme devait être rétabli rapidement. C'est malheureusement très improbable dès lors que les Américains sont décidés à porter quelques coups au terrorisme et donc à entretenir un climat qui ne sera pas favorable aux affaires. Seront inévitablement touchés le tourisme le transport aérien et l'industrie aéronautique, les assurances, les banques, les nouvelles technologies, déjà terriblement fragilisées depuis un an.
Le tableau est sombre, et a éteint les passions politiques françaises à huit mois des élections. Le premier devoir civique est de continuer à travailler et à vivre normalement pour maintenir l'économie française en bonne santé ; le deuxième consiste à se souvenir de périodes historiques bien plus graves et de rester ferme devant l'adversité.
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