« Il sera important de voir si la prédation des chimpanzés sur les singes a donné lieu à d'autres acquisitions de VIS et si ces autres souches de VIS adaptées aux chimpanzés sont susceptibles d'infecter les hommes », conclut l'équipe menée par le Pr Paul Sharp, généticien à l'université de Nottingham, au Royaume-Uni (à noter, dans l'équipe, M. Peeters, de l'université de Montpellier). En effet, étant donné l'étroite ressemblance entre les chimpanzés et les hommes, tout VIS recombinant qui réussirait à s'adapter et à disséminer chez les chimpanzés pourrait effectuer un saut supplémentaire vers l'homme, et devenir un potentiel VIH3.
Depuis plus de dix ans, le Pr Sharp, en collaboration avec le Pr Béatrice Hahn, de l'université américaine d'Alabama, à Birmingham, cherche à élucider les origines des virus du sida et leur évolution.
Il y a trois ans, l'équipe révélait l'origine du VIH1 : un VIS du chimpanzé (VIScpz) transmis à l'homme. Toutefois, il restait à savoir comment, en premier lieu, les chimpanzés ont contracté le VIS (virus de l'immunodéficience simiesque ; en anglais : SIV, pour Simian Immunodeficiency Virus) .
Plus de vingt espèces de singes en Afrique sont naturellement infectées par des VIS, avec des souches spécifiques selon l'espèce, mais, parmi les grands singes, seuls les chimpanzés sont, à notre connaissance, naturellement infectés par le VIS.
Mangabey à coiffe rouge et cercopithèque
On avait remarqué que les souches de VIS de deux espèces de petits singes, les mangabeys à coiffe rouge (VISrcm) et les cercopithèques (VISgsn), présentent des ressemblances génétiques avec le VIS du chimpanzé (VIScpz).
Bailes, Sharp, Hahn et coll. ont conduit des analyses phylogénétiques approfondies. Leurs résultats leur permettent d'établir que le VIS du chimpanzé (VIScpz) est un hybride des deux virus ancestraux du VIS du mangabey à coiffe rouge (VISrcm) et du VIS du cercopithèque (VISgsn). En effet, les moitiés gauche et droite du génome du VIScpz sont étroitement apparentées, respectivement, aux VISrcm et VISgsn.
Les chimpanzés chassent et mangent les petits singes
Puisque les chimpanzés sont connus pour chasser et manger de plus petits singes, il est fort probable que les chimpanzés ont contracté de cette manière les VIS des deux petits singes. Puis un hybride s'est formé par la recombinaison entre les deux virus VIS. Ce virus hybride VIScpz s'est ensuite disséminé chez les chimpanzés, puis fut transmis un jour à l'homme pour devenir le VIH1. L'homme a probablement contracté le virus, de façon similaire, c'est-à-dire en mangeant du chimpanzé.
Il existe d'autres parallèles frappants entre l'infection à VIS des chimpanzés et l'infection à VIH des hommes, remarque le Pr Sharp. Premièrement, de même que les chimpanzés semblent avoir acquis les SIV de deux sources différentes, de même les hommes sont infectés par deux virus VIH. Outre le VIH1, il y a le VIH2 qui fut transmis à l'homme par le mangabey noir (ou « sooty »).
Deuxièmement, tandis que les petits singes pourraient avoir été infectés par les SIV depuis très longtemps, les chimpanzés ont acquis le VIS plus récemment.
De plus, une étude à paraître en juillet dans le « Journal of Virology » montre que la prévalence d'infection à VIS chez les chimpanzés sauvages est beaucoup plus faible que celle chez les autres espèces de singes, et assez similaire à la prévalence de l'infection à VIH dans les régions d'Afrique centrale occidentale ou l'épidémie du sida semble avoir émergé pour la première fois. La principale différence entre l'infection à VIS des chimpanzés et l'infection à VIH des hommes est que les chimpanzés ne présentent pas de symptômes de maladie. Cela soulève la question de savoir si les chimpanzés ont coévolué avec leur virus pour parvenir à cette association non pathogène.
« Science » du 13 juin 2003, p. 1713.
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