DIRECTRICE de recherche émérite au CNRS et à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales), Claudine Herzlich inscrit les nouveautés de l'enquête sur la perception des risques sanitaires dans des perspectives historiques au long cours. «Il y a cinquante ans, la création de la Sécurité sociale avait provoqué un fantastique changement culturel, explique-t-elle. Les médecins retraités que nous avons interrogés en 1994* nous rappelaient qu'auparavant être malade, c'était être en arrêt de travail, le travail étant alors la vertu cardinale. Avec la Sécu, les Français ont découvert qu'ils pouvaient se soigner. Petit à petit, ils ont considéré qu'être malade, c'était être soigné. Cette évolution s'est accentuée pendant l'essor économique des “30glorieuses”, conférant à la santé une importance centrale.»
Le consumérisme médical mis à mal.
«Une importance, souligne la sociologue, qui n'a été qu'en se renforçant au fil des années, avec l'avènement de ce que l'on peut appeler le consumérisme médical, et la multiplication des maladies chroniques qui médicalisent au long cours les gens, pour des périodes qui se prolongent avec l'augmentation de l'espérance de vie. Aujourd'hui, la sensibilité collective est confrontée à une peur nouvelle: celle de ne plus pouvoir être soigné, en raison des déremboursements de certains médicaments, de l'instauration des franchises médicales, de la saturation de l'hôpital, du manque de personnel médical et hospitalier, de la désorganisation sociale liée notamment aux mouvements de grève.»
Pour Claudine Herzlich, «l'affaire des restrictions de remboursements liés aux ALD (affection de longue durée) n'a déchaîné les médias que pendant trois jours. Mais l'opinion a senti, dès le plan Juppé de 1995, qu'était inexorablement enclenché un vaste processus socio-économique lié au déficit de la Sécurité sociale. L'impact de cette évolution est aussi massif qu'en son temps celui occasionné par la création de la Sécurité sociale. Somme toute, nous assistons à un sévère retour de manivelle. Alors qu'être soigné est devenu essentiel pour tout un chacun, la peur de ne plus pouvoir être bien pris en charge s'est emparée des esprits. Elle accompagne la peur d'être malade et, sans s'y substituer à proprement parler, elle s'y superpose. Nous sommes probablement devant une tendance lourde. Elle émerge comme était apparue, dans les années 1970, la perception des risques environnementaux liés à la pollution atmosphérique et chimique, bien avant que les médias ne s'en emparent. De ce point de vue, cette peur de ne plus être soigné n'est pas une simple peur médiatique».
* « 50 Ans d'exercice de la médecine en France », Éditions de l'INSERM.
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