L'art pour témoin
Quand Raphaël Sanzio, dit Raphaël, est mort à Rome le 6 avril 1520, à seulement 37 ans, il était au sommet de son art et de sa gloire. Dans son atelier, on trouva le portrait de La Fornarina, que l'on pense être la femme de coeur de l'artiste. Son vrai nom, selon une note de Giorgio Vasari dans sa bibliographie de Raphaël, était Margherita. Son père, Francesco Luti, était boulanger, qui se dit fornero en italien (d'où le surnom de sa fille : La Fornarina).
Le tableau, une huile sur toile de 85 x 60 cm, se trouve à la Galleria Nazionale d'Arte Antica (Palazzo Barberini), à Rome.
La Fornarina porte un turban jaune et bleu orné d'une perle ; se yeux noirs, tournés vers la gauche (probablement vers le peintre), ont les pupilles dilatées. La lumière vient de la droite et l'artiste, pour mieux examiner son modèle, s'est placé à sa gauche.
Malgré la position du modèle, on peut comparer ses seins. « Ils n'ont pas la même apparence », indique Carlos Espinel. « Le sein droit est bien formé, rond et proportionné à sa taille. Il est recouvert d'une peau qui semble lisse et d'une couleur uniforme rose crémeux, comme ses épaules et son thorax. Le téton est rose et fait saillie sans rétraction sur une aréole circulaire d'une teinte plus sombre. »
Sein gauche gros et déformé
« Le sein gauche est gros et déformé, poursuit Carlos Espinel. (...) Il y a un renflement qui, naissant dans l'aisselle, s'incurve horizontalement vers la droite et s'incline doucement vers le mamelon. Ce renflement semble être une masse de forme ovale, qui forme un faux-pli juste au-dessus du bout de l'index de La Fornarina. Sous ce renflement, il existe une forte rétraction. La fossette qui va de l'aisselle à l'index et au médius suit la limite inférieure de la masse. Le mamelon n'est pas déformé. Toutefois, la peau du sein a changé de couleur. Une teinte bleutée, une couleur bistre recouvrent la tuméfaction et l'aréole, atteignant le téton. Dans le creux axillaire, une discrète protubérance suggère une boule graisseuse ou peut-être une adénopathie. » Quant au bras gauche de La Fornarina, il apparaît plus gros que ne le voudrait la perspective. Les images en « réflectographie » et les radiographies - qui montrent les sous-couches de peinture - révèlent les nombreuses tentatives de Raphaël pour peindre le bras. Le bord du bras est irrégulier et, avec le bracelet qui l'enserre, il semble gonflé.
Cinq signes cliniques
« La déformation de La Fornarina pourrait correspondre à cinq signes cliniques : masse, rétraction, modification de la coloration cutanée, possible adénopathie et gonflement du bras. Le changement de couleur suggère une invasion cutanée, peut-être dans les lymphatiques dermiques, et le gonflement du bras suggère un lymphoedème. Ces signes sont compatibles avec le diagnostic de cancer du sein gauche, à un stade avancé. »
Pour confirmer ce diagnostic rétrospectif sur une simple toile, fût-elle de Raphaël, il eut fallu connaître le devenir de La Fornarina. Malheureusement, sa trace s'arrête sur un document du couvent Saint-Appoline de Rome : « Le 18 août 1520, Margherita, fille de Francesco Luti de Sienne, fut reçue dans notre congrégation. »
Quelle est la signification historique de cette analyse ? « La Fornarina présente des signes qui, non seulement, sont d'ordre diagnostique mais aussi permettent d'évaluer le stade de la maladie. Datée d'environ 1520, la toile de Raphaël précède d'une centaine d'années la description scientifique de Severinus*. Ce portrait est donc une représentation graphique très précoce, peut-être la première, du cancer du sein. »
Raphaël a représenté La Fornarina telle qu'il la voyait. « Elle aurait pu facilement cacher la déformation. Elle aurait pu présenter l'autre côté, montrant le côté sain. Bien au contraire, la main sur le sein gauche, l'index sur la masse, elle montre le cancer. Comme si elle avait décidé d'affronter la vérité. »
«The Lancet », 21-28 décembre 2002, pp. 2061-2063.
* Marco Severinus fait partie de ceux qui ont fait progresser la chirurgie du cancer au XVIe siècle, avec notamment un traité illustré de pathologie chirurgicale.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature