NOTRE AUTEUR, qui a dirigé en 2003 le « Dictionnaire de l’homophobie » (PUF), note que c’est le développement des cultures gaies et lesbiennes qui a permis d’examiner ce que nous continuons à considérer comme étant la norme : l’union d’un homme et d’une femme.
L’hétérosexualité est pensée d’abord comme « naturelle », la preuve étant tout de suite disponible : elle permet la reproduction de l’espèce. Elle en devient culturelle, c’est la célébration à l’infini, en général de façon nunucho-romantique, dans toute la culture occidentale, de l’immense appel qui pousse un sexe vers l’autre, à condition qu’ils soient différents.
S’il argumente contre ces pseudo-évidences, Louis-Georges Tin attaque par ailleurs son sujet par un biais qui fait toute la saveur de son livre : la littérature du Moyen Âge et de la Renaissance. Éclairant avec soin la littérature et les murs qu’elle reflète, l’auteur montre que la culture féodale est une culture virile, fondée sur une éthique de la camaraderie. L’homosexualité est la règle et il nous est habilement montré qu’elle se cache dans les gorges de Roncevaux : « la Chanson de Roland » célèbre en fait la très forte inclination de Roland pour Olivier, masquée derrière l’amour de Roland pour Aude. Il y a même une autre lecture de « Tristan et Yseult » qui en change totalement le sens.
Or, à partir du XII e siècle naît l’amour courtois, célébré délicatement par les poèmes et chants des troubadours et trouvères. À la société que L.-G. Tin nomme « homosociale » succède une célébration de la femme. Elle-même, donna qui se fait domina, socialement dévalorisée jusque-là, devient conteuse galante. Aux rudes amitiés masculines de la guerre succède jusqu’à la fin du XIII e siècle l’envol d’une sentimentalité sublimant la femme, une idéalisation qui culminera dans l’image de la vierge Marie.
Une énigme.
La culture de l’hétérosexualité finit par triompher, dit l’auteur, mais, pour lui, « ce n’est pas le lieu de s’interroger sur les causes de ce phénomène qui demeure relativement énigmatique et qui divise encore les spécialistes ». On n’a pas, poursuit-il, « problématisé l’hétérosexualité », on l’a naturalisée comme si elle allait de soi. Osera-t-on lui objecter qu’elle était virtuellement dans les corps de beaucoup et que la culture courtoise n’a fait que l’actualiser ?
En se repenchant avec l’auteur sur l’histoire, on voit que la fin du Moyen Âge est marquée par une violente condamnation de la chair de la part des pères de l’Église. On valorise la vie célibataire, monastique, loin de la femme qui incarne la concupiscence, donc le péché. Cette guerre menée contre l’hétérosexualité ne profite évidemment pas à l’homosocialité, dit Louis-Georges Tin, puisqu’il s’agit d’une guerre contre la chair « en général »... Pourtant, le Christ et ses douze apôtres baignaient dans un climat très particulier.
Bizarrement, l’auteur, tout en montrant comment l’hétérosexualité fait écran et réprime l’homosocialité, consacre en fait une grande partie de son livre à illustrer le fait que c’est la sexualité en général qui fait l’objet de tracasseries. Après les prêtres, la médecine scientiste du XIX e voit même dans cet échauffement des corps une maladie, voire une folie.
Mais l’hypothèse de base demeure féconde : les différences que nous établissons entre les êtres humains, pose cet éminent membre du CRAN (Conseil représentatif des associations noires) ne sont nullement fondées en nature mais renvoient à un nominalisme culturel, moment où « la culture se fait dressage et barbarie », dirait Nietzsche.
Louis-Georges Tin, « l’Invention de la culture hétérosexuelle », Autrement, 198 pages, 20 euros.
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