FACE A LA CRISE de l’autorité, «il n’existe pas une différence de nature entre ce qui se passe dans le cabinet du généraliste et l’évolution enregistrée au sein du Comité consultatif national d’éthique» (Ccne). Le Pr Sadek Beloucif, chef du pôle d’anesthésie-réanimation au CHU d’Amiens (Somme), l’un des 40 membres du comité depuis 1998, parle «d’une différence de degré, de concepts plus généraux». L’éthique, précise-t-il, s’appuie sur quatre principes présentés dans un ordre variable selon qu’elle relève du monde judéo-chrétien ou anglo-saxon. Dans un cas, «bienfaisance, non-malfaisance, autonomie et justice»; dans l’autre, «autonomie, bienfaisance, non-malfaisance et justice». «L’autonomie, définie par Kant, signifie “Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse”», rappelle l’anesthésiste-réanimateur. «Dans l’esprit protestant, l’autonomie n’est valable qu’à l’aune de la justice distributrice: la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.» Les Anglo-Saxons se situent plutôt dans l’ habeas corpus, l’affirmation de l’indépendance, «ce qui va à l’encontre de la monarchie de droit divin. Ils ont tendance à se déterminer d’après des règles librement consenties». C’est là «une conséquence logique, obligée, naturelle, du progrès médical», commente le praticien. Chez les Latins, «le règne de la bienfaisance a fait du médecin un maître tout-puissant, doté d’un pouvoir parfois excessif. Appelé pour une diphtérie ou une angine, il joue le rôle de sorcier prédisant l’avenir: “Il va mourir”, assène-t-il». Le paternalisme bat son plein. Jusqu’en 1920, la maladie s’apparente à une fatalité et la réponse ad hoc se révèle presque religieuse (l’Hôtel-Dieu, à Paris).
A ce premier âge de la médecine succédera le début de la technicité : au chevet d’un enfant atteint d’une angine, le généraliste doit donner «le bon traitement, faute de quoi il est sujet à critiques». «Par nature plus compétent, il devient plus contesté, dès lors qu’il n’applique pas les règles de l’art. Un nouvel équilibre s’établit entre les droits du malade et les devoirs du médecin: le premier n’a aucun devoir et le second aucun droit.»
Retour à l’humanisme médical.
«Depuis la décennie 1990, poursuit le Pr Beloucif, nous vivons le troisième âge de la médecine, celui où l’homme de l’art cherche à dépasser la logique purement technique et à se réapproprier l’humanisme de la médecine.»
L’anesthésie-réanimation témoigne du chemin parcouru. «En vingtans, nous sommes passés d’une mort indue pour 10000actes à une mort indue pour 100000. Après avoir quitté l’ère de la fatalité du choc opératoire, et tourné la page de la gestion du risque, l’anesthésiste-réanimateur n’a plus comme fonction que de veiller à ce qu’un pépin ne survienne pas. Nous ressemblons, dorénavant, à des ingénieurs de maintenance en centrale nucléaire. Ayant compris la technique, au point de nous en emparer, nous essayons de la dépasser», insiste le praticien.
Parallèlement, l’autonomie à l’anglo-saxonne gagne les salles d’attente. La revendication est à son comble. «Il appartient aux médecins de ne pas se laisser déstabiliser. Nous allons vers des relations plus mûres, plus adultes avec les patients.» Le pater familias a vécu. Toutefois, prévient Sadek Beloucif, «la bienfaisance, sans attention portée à l’autonomie, est une dictature. Et l’autonomie excessive, sans attention portée à la bienfaisance, peut constituer un enfermement terrible». Au nom de son autonomie, un homme blessé aux jambes, souffrant le martyre, exigera par exemple qu’on le supprime. Dans tous les cas, il semble impossible de céder à «une logique autonomiste contractuelle. Nous ne sommes pas des Américains. Un modèle existe, c’est l’alliance thérapeutique».
Dès 1998, le Ccne s’est confronté à cette nouvelle donne avec un texte sur le consentement, où apparaît un balancement entre bienfaisance médicale (paternalisme) et revendication du patient (autonomie). Il en sera de même avec l’avis d’avril 2005 sur « Refus de traitement et autonomie de la personne ». «La responsabilité professionnelle est celle du maintien du soin en respectant au maximum les décisions d’un malade qui doit pouvoir comprendre, lui aussi, les obligations morales de celui qui le soigne», recommande le Ccne. Pour illustrer cette mutation-maturation, le Pr Sadek Beloucif évoque la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, qui «redonne du sens aux patients», et celle du 22 mars 2005 sur la fin de vie, qui réalise «un équilibre subtil et harmonieux entre droits des malades et devoirs des médecins». Le praticien a cédé la place au technicien, puis à «l’humaniste soucieux d’harmonie», qui s’évertue à «réconcilier la bienfaisance qu’il doit à son patient tout en respectant son autonomie».
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