La douleur est le symptôme le plus redouté par les patients atteints d'un cancer, notamment parce qu'elle a un impact direct sur leur qualité de vie. Comme le souligne le Dr Danièle Lefebvre-Kuntz, sa prise en charge requiert une étroite collaboration entre l'oncologue et l'algologue de façon à pouvoir apporter un soulagement optimal au patient tout au long de l'évolution de sa maladie.
LA DOULEUR, en cancérologie, présente un certain nombre de spécificités qui la placent à part. La première de ces spécificités tient à son incidence, d'autant plus élevée que le cancer évolue : de l'ordre de 30 à 40 % en début de maladie, elle peut ensuite atteindre de 70 à 80 %.
La seconde particularité réside dans la complexité du diagnostic, liée au fait que les mécanismes physiopathologiques sont le plus souvent mixtes, associant une composante nociceptive et une composante neuropathique. De plus, chez un même patient, la douleur peut, dans un premier temps, répondre à un seul de ces mécanismes, puis, au cours de l'évolution, épouser les deux mécanismes et, éventuellement, n'être plus imputable ensuite qu'à un seul d'entre eux. Il est donc nécessaire de réévaluer constamment la douleur pour adapter le traitement en conséquence.
Une autre particularité de la douleur cancéreuse tient à son intensité, qui est le plus souvent forte à insoutenable. Il existe un fond douloureux permanent, que le traitement parvient plus ou moins bien à soulager, mais, même lorsque ce fond douloureux est contrôlé, surviennent des accès douloureux paroxystiques qui nécessitent une évaluation extrêmement fine.
Chez les patients cancéreux, les douleurs peuvent répondre à de multiples étiologies. Le plus souvent, elles sont liées à la tumeur elle-même, mais, dans environ 20 % des cas, elles sont séquellaires des traitements entrepris : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie. Ces douleurs, généralement en rapport avec des lésions des fibres nerveuses, sont difficiles à traiter, car les molécules efficaces dont nous disposons sont peu nombreuses et elles-mêmes pourvoyeuses d'effets indésirables.
Toutes ces particularités de la douleur cancéreuse font que son évaluation correcte réclame énormément de temps ; or, même lorsque l'oncologue possède les connaissances nécessaires, il ne dispose pas toujours du temps qu'exige une telle évaluation.
Les douleurs que l'oncologue est à même de prendre directement en charge sont, tout d'abord, celles qui relèvent d'un mécanisme nociceptif.
Il arrive toutefois que certains patients demandent à consulter un médecin spécialiste de la douleur. Dans ce cas, l'oncologue se doit d'accéder à leur demande, même s'il a la capacité de prendre lui-même en charge leur plainte douloureuse.
Le contexte de la maladie cancéreuse constitue un autre élément déterminant : si l'oncologue voit le patient à une phase de sa maladie où le traitement antitumoral spécifique a un important effet antalgique, il est légitime qu'il prenne lui seul en charge ce patient.
Certains oncologues s'efforcent, en outre, de prendre en charge la douleur de leurs patients autant qu'il leur est possible par souci de préserver l'algologue ; ils savent, en effet, que, eu égard à l'extrême fréquence des douleurs chez les patients cancéreux, ils doivent éviter d'adresser trop systématiquement ces derniers au spécialiste de la douleur.
La prise en charge des douleurs à mécanisme nociceptif doit, enfin, être conforme aux recommandations de l'OMS ainsi qu'aux Standard Options Recommendations (SOR) publiées en 2003, qui reprennent les trois paliers thérapeutiques préconisés par l'OMS. Les SOR ont notamment précisé la notion de titration horaire : le patient doit constamment avoir la possibilité de s'autoadministrer un opioïde à libération rapide pour traiter les douleurs mal soulagées ou les accès douloureux paroxystiques. L'oncologue doit donc être au fait de cette nécessité thérapeutique et connaître la pharmacologie des molécules disponibles à cet effet.
Quand le patient doit-il être d'emblée adressé à l'algologue ?
L'alliance entre l'oncologue et l'algologue varie en fonction des personnes, des centres et des sensibilités de chacun. Il semble souhaitable que soient directement adressés à l'algologue les patients qui sont sujets à de nombreux accès douloureux paroxystiques ou qui présentent des composantes émotionnelles et psychosociales difficiles à évaluer. Il revient également à l'algologue de prendre en charge les douleurs séquellaires des traitements, car celles-ci relèvent le plus souvent de mécanismes neuropathiques et nécessitent donc non seulement un traitement médicamenteux, mais aussi des séances de neurostimulation.
L'algologue sera aussi consulté d'emblée en cas d'échec des traitements antalgiques précédemment entrepris, que l'échec soit lié à un manque d'efficacité ou à l'importance des effets indésirables.
Par ailleurs, certains patients ayant déjà reçu un traitement opioïde qu'ils avaient mal supporté parce qu'il n'avait pas été correctement géré se montrent peu enclins à accepter une nouvelle prescription d'opioïdes. L'algologue est alors le mieux placé pour expliquer à ces patients pourquoi ce traitement leur est nécessaire et vaincre ainsi leur opposition.
Il est également préférable d'adresser d'emblée à l'algologue les patients qui présentent des tares fonctionnelles (rénales, hépatiques et/ou métaboliques), car il est alors indispensable d'avoir une connaissance très fine de la pharmacologie des produits. Tel est notamment le cas des sujets âgés, chez lesquels la douleur est, en outre, souvent difficile à évaluer et qui peuvent avoir des difficultés de compréhension ; or le traitement opioïde ne sera correctement suivi que s'ils ont bien compris toutes les informations. Cela implique des entretiens et des examens très longs, qui ne peuvent être conduits que par un algologue.
Une relation de confiance mutuelle.
En réalité, en cancérologie, l'alliance thérapeutique ne se limite pas à un partenariat entre l'oncologue et l'algologue, mais concerne également de nombreux autres intervenants tels que le radiothérapeute, le neurochirurgien et le chirurgien orthopédiste. Il est indispensable que la relation entre tous ces acteurs soit fondée sur la confiance mutuelle, gage d'une communication efficiente et d'une étroite interactivité entre chacun d'eux.
A ce titre, dans les réseaux appelés à se créer en vue de la prise en charge de certaines pathologies comme les métastases vertébrales, la constitution d'un dossier médical commun constitue une approche éminemment souhaitable, car elle permet un gain de temps et une optimisation des résultats. Dès lors, le patient perçoit la qualité de sa prise en charge, ce qui l'incite à une meilleure observance des traitements qui lui ont été prescrits.
D'après un entretien avec le Dr Danièle Lefebvre-Kuntz, service d'anesthésie-réanimation, centre Oscar-Lambret, Lille.
Les réticences du patient
Bien souvent, les patients se retiennent de trop insister sur leur douleur lorsqu'ils parlent à l'oncologue, car ils craignent de détourner l'attention de ce dernier, risquant alors de lui faire sous-estimer leur état général et de le conduire à modifier le traitement à visée carcinologique. Ces patients seront donc plus enclins à parler de leur douleur à un algologue.
L'âge du patient est également un facteur important : les sujets jeunes sont constamment portés à sous-évaluer leur douleur. De plus, chez un patient jeune et actif, les médecins ont, eux aussi, tendance à sous-estimer l'intensité de la douleur.
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