Sous l'appellation de régime méditerranéen, on désigne les habitudes alimentaires qui prévalaient au début des années 1960 dans les régions méditerranéennes, Crète, ou certaines parties de la Grèce et l'Italie du Sud.
La naissance d'un concept
Le concept d'alimentation méditerranéenne est né de la fameuse Etude des sept pays initiée par Ancel Keys (professeur de santé publique, Minnesota), qui, dans les années 1950, a établi un lien entre la mortalité cardio-vasculaire et les habitudes alimentaires de différentes populations (Etats-Unis, Finlande, Pays-Bas, Yougoslavie, Italie, Japon, Grèce). Les taux de mortalité observés étaient très variables d'un pays à l'autre : les Crétois avaient un taux de mortalité cardiaque égal à 10 % de celui des Etats-Unis.
L'idée que le régime Crétois puisse être protecteur a germé.
En 1988, l'étude menée par Serge Renaud à Lyon a repris et confirmé cette hypothèse. La Lyon Heart Diet Study est une étude d'intervention en prévention secondaire, conduite sur une population ayant déjà eu un infarctus du myocarde. Elle comparait un régime méditerranéen (consommation élevée de fruits, légumes, pain et poisson, consommation basse de viande avec une préférence pour la volaille, remplacement du beurre et de la crème par une margarine enrichie en acide alphalinolénique) à une alimentation standard. Le bénéfice du régime méditerranéen a été tel qu'il a fallu interrompre l'étude prématurément (après 27 mois au lieu des 46 prévus) : les auteurs ont observé une baisse de 76% du nombre d'événements cardio-vasculaires mortels ou non dans le groupe régime méditerranéen comparé à l'autre groupe ; la mortalité toutes causes était réduite de 70 %. Le bénéfice apparaissait après deux mois seulement de régime.
En 1991, l'étude MONICA (MONItoring, CArdio-vascular disease) a montré l'existence d'un gradient nord-sud dans la répartition de la mortalité cardiovasculaire, les habitants du sud de l'Europe bénéficiant d'une incidence de maladies cardio-vasculaires plus faible et d'une espérance de
vie plus élevée.
La pyramide alimentaire méditerranéenne
A partir de ces observations et de celles du Pr Walter Willett, a été développée, en 1993, la pyramide alimentaire méditerranéenne.
Les atouts santé de l'alimentation traditionnelle méditerranéenne reposent sur neuf éléments :
- une consommation élevée d'huile d'olive et une faible consommation de lipides d'origine animale ;
- une consommation élevée de légumes à feuilles et d'herbes aromatiques ;
- une consommation élevée de légumineuses ;
- une consommation élevée de céréales ;
- une consommation élevée de fruits ;
- une consommation modérée (ou élevée) de poisson ;
- une consommation modérée de produits laitiers ;
- une faible consommation de viande et dérivés ;
- une consommation modérée de vin.
On peut ajouter à ces neuf éléments la frugalité de l'alimentation et la pratique régulière d'une activité physique.
Ce régime est particulièrement riche en antioxydants : vitamine C, caroténoïdes et polyphénols des fruits et des légumes ; vitamine E et polyphénols de l'huile d'olive. Il apporte peu d'acides gras saturés, au profit des acides gras mono-insaturés (huile d'olive) et des acides gras polyinsaturés, notamment de la famille oméga 3 (légumes à feuilles, poisson, escargots concernant le régime crétois). La viande de mouton ou de chèvre, consommée traditionnellement par ces populations, est plus riche en acides gras insaturés que les viandes consommées aujourd'hui dans les pays occidentaux. Par ailleurs, la richesse en fibres (apportées par les fruits, les légumes et les légumineuses) confère à ce type de régime un index glycémique bas.
Que mangent les Européens ?
Pour faire des recommandations générales, capables de diminuer l'incidence de certaines maladies, il convient au préalable d'analyser ce que mangent les Européens. Des données intéressantes sont fournies par l'étude EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and nutrition), incluant près de 500 000 personnes de dix pays européens (France, Italie, Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Pays-Bas, Grèce, Suède, Danemark, Norvège), dont les habitudes alimentaires et les événements de vie ont été collectés pendant trente ans. A partir de ces données, N. Slimani (Centre international de recherche sur le cancer, Lyon), a présenté une photographie comparative des habitudes alimentaires des Européens, les consommations de chaque pays étant exprimées en pourcentage de la consommation moyenne européenne.
Ainsi, l'Italie et la Grèce sont caractérisées par une consommation élevée de produits végétaux (excepté les pommes de terre) et une faible consommation de produits animaux et d'aliments transformés. La France et l'Espagne se distinguent par une grande hétérogénéité des choix alimentaires : ces deux pays consomment autant de produits d'origine végétale qu'animale. En France, la consommation d'alcool est supérieure de 25 à 30 % à la moyenne européenne. La consommation de fruits est légèrement inférieure à la moyenne, celle de légumes est supérieure. Excepté dans le nord-ouest où elle est plus élevée, la consommation de poisson se situe dans le moyenne européenne. De même, nous consommons davantage de beurre que la moyenne des autres pays, et cette consommation est largement supérieure dans le nord que dans le sud du pays ; les produits laitiers, les ufs et la viande sont davantage consommés dans le nord-est.
Les Britanniques consomment beaucoup de thé, de sauces, de gâteaux, de boissons sucrées et de pommes de terre. Les pays du Nord, les Pays-Bas, l'Allemagne, consomment également beaucoup de pommes de terre, de produits animaux, d'aliments industrialisés et de sucreries ; leur consommation de fruits est plutôt plus basse que la moyenne européenne, celle de légumes l'est encore davantage.
La politique nutritionnelle souhaitée par les experts
A l'issue de la première conférence internationale sur les bienfaits santé du régime méditerranéen, des conclusions pratiques ont été rédigées.
La centaine de scientifiques internationaux ayant participé à ce travail a souligné plusieurs points importants. Tout d'abord, il faut parler de régime type méditerranéen traditionnel, les consommations actuelles étant très diverses et souvent occidentalisées.
Les recommandations nutritionnelles doivent être fondées non pas sur des quantités de « nutriments » (macro ou micro) à consommer, mais sur un modèle alimentaire global. Les bénéfices sont optimisés par le respect de mesures plus générales concernant le mode de vie : arrêt du tabagisme, activité physique, contrôle du poids.
Les experts ont estimé que l'alimentation méditerranéenne traditionnelle est un modèle prometteur pour rester en bonne santé et prévenir l'apparition de maladies cardio-vasculaires, du diabète et des cancers.
Les recommandations doivent être adaptées en fonction des goûts, des habitudes antérieures et des spécificités culturelles ; elles doivent être faciles et agréables à adopter.
Les experts ont également tenu à souligner dans leur rapport consensuel la nécessité pour l'Europe d'avoir une politique agricole permettant d'assurer à ses concitoyens un approvisionnement, une qualité et une sécurité alimentaires adéquats. « Il faut développer une politique nutritionnelle européenne compréhensible par tous, coordonnée et multisectorielle, ont-ils déclaré ; cette politique devrait faciliter l'information et l'accessibilité de tous les Européens aux produits alimentaires typiques de l'alimentation méditerranéenne traditionnelle : légumes, fruits, céréales complètes. »
Des recommandations consensuelles
En pratique, après de longues discussions, les experts ont estimé qu'il fallait exprimer les recommandations à la fois en grammes par jour et en portions.
Les recommandations faites sont les suivantes :
- légumes : 240 à 400 g/j, crus ou cuits ; les gros consommateurs peuvent en manger jusqu'à 600 g par jour ; soit 6 parts ;
- fruits : 300 g/j, soit trois parts ;
- céréales (de préférence complètes) et pain : 200 à 300 g/j, soit 6 à 9 parts ;
- produits laitiers : 2/j (si végétariens) ;
- poisson : 300 à 400 g/semaine ; sachant que, dans de nombreux pays, on ne consomme pas du poisson 5 à 6 fois par semaine, comme les experts ont été tenté de le recommander ;
- poulet (et viande), si consommé : 300 à 400 g/semaine, soit 5 à 6 parts ;
- olives, oléagineux ou légumineuses en apéritif : 2 à 3 parts/semaine ;
- consommation modérée de vin ;
- l'huile d'olive est utilisée pour l'assaisonnement et la cuisson.
On notera que la correspondance du nombre de parts et du poids total fait référence à des portions plus faibles que celles en cours dans les pays occidentaux, l'une des caractéristiques du régime méditerranéen étant sa frugalité.
Enfin, plus intéressante a été la discussion sur le droit que l'on a d'imposer (ou même de promouvoir) une façon de se nourrir ou un style de vie propres à une région, à des populations de cultures alimentaires différentes ; cela, même si les bénéfices santé paraissent assez bien étayés.
Sans doute faudrait-il d'abord faire en sorte que les pays du pourtour de la Méditerranée reviennent à leur alimentation traditionnelle avant de proposer ce modèle comme universel.
Enfin, il faut prendre garde à ce que ces recommandations ne soient pas récupérées et transformées à des fins commerciales, laissant entendre que tout ce qui est « traditionnel » est bon pour la santé ou que l'on peut transformer le régime méditerranéen en médicament, pourquoi pas sous forme de comprimés contenant tel ou tel de ses composants. C'est bien d'une alimentation et d'un mode de vie qu'il s'agit.
Comment adapter le régime méditerranéen aux autres pays ?
Le régime méditerranéen ne doit pas être considéré comme un modèle rigide à suivre à la lettre. Il doit seulement servir d'indication pour orienter les choix alimentaires tout en respectant les habitudes régionales et culturelles de chacun.
En pratique, Véronique Liégeois, diététicienne, propose quelques exemples d'adaptation.
Nord
- Betterave et endive -vinaigrette ;
- Carbonade à la flamande (en réduisant la part de buf et en augmentant celle des carottes, poireaux et pommes de terre) ;
- Maroilles (petite portion) ;
- Poire ;
- Pain.
L'adaptation : la quantité de viande du plat traditionnel est réduite au profit des légumes ; le fromage est servi en petite portion, du fait de la présence de viande.
Centre
- Salade verte et filet de truite, vinaigrette à l'huile de noix ;
- Truffade (pommes de terre au Cantal et herbes fraîches) ;
- Coupes de fruits rouges ;
- Pain.
L'adaptation : le plat principal à base de fromage exclut la viande de ce repas ; l'apport de protéines est complété par le poisson en entrée.
Bretagne
- Tomates cocktail ;
- Bar sauce citron ;
- Chou-fleur et brocolis vapeur, margarine au colza ;
- Crêpe aux pommes caramélisées ;
- Pain.
L'adaptation : le plat et l'entrée légers (avec beaucoup de légumes) autorisent un dessert plus riche (beurre et sucre) ; la présence du beurre dans la crêpe implique qu'on choisisse une matière grasse végétale pour la préparation des autres plats.
Sud-Ouest
- Salade de mâche, copeaux de fromage de brebis, vinaigrette ;
- Aiguillettes de canard grillées ;
- Haricots en grains mijotés à la tomate ;
- Muscat ;
- Pain.
L'adaptation : le fromage est consommé en petite quantité dans l'entrée ; le canard, riche en AGMI, est une viande conseillée ; les haricots prédominent, la viande vient en accompagnement.
Les tendances à suivre
Quelques lignes directrices permettent de tendre vers ce type d'alimentation :
- la quantité de légumes et de féculents dans l'assiette doit être nettement plus importante que celle de viande ;
- il convient de ne pas cumuler à chaque
repas viande et fromage ;
- il faut opter plus souvent pour du poisson (si possible au moins trois fois par semaine) ;
- chaque repas doit comporter une portion de crudités et un fruit riches en vitamine C ;
- pour les grignotages ou collations, on peut opter pour des fruits frais ou secs et des oléagineux (excepté s'il existe un problème de poids).
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