C'est une mise en garde vis-à-vis des laits infantiles à base de protéines de soja que réalisent C. Bennetau-Pelissero (Gradignan) et coll. à la suite d'une réunion du club agroalimentaire de l'association ECRIN. Ces préparations sont destinées aux nourrissons allergiques aux protéines du lait de vache et devraient le rester. Une question d'importance n'a pour autant toujours pas trouvé de réponse. Elle concerne l'exposition des nourrissons à de fortes quantités de phytoestrogènes contenues dans ces laits.
« Un pic de LH survient naturellement chez le nourrisson mâle dans les 4 mois qui suivent sa naissance. Elle est normalement accompagnée d'une sécrétion significative de testostérone. » L'hormone participe notamment à la sexualisation des petits garçons en intervenant sur les récepteurs cérébraux. On ne connaît pas les conséquences d'un blocage de ce pic chez le bébé humain. Des travaux menés chez des rongeurs montrent qu'une exposition à des phytoestrogènes in utero ou à la naissance (équivalent au développement d'un foetus humain de 4 mois) réduit ce pic de LH. Chez le macaque de 4 mois, le blocage de ce pic conduit à une déficience en lymphocytes T CD4+. Plus tard dans la vie apparaissent une réduction de taille des testicules, des troubles de la minéralisation osseuse, une altération des comportements sociaux (individus dominés) et sexuels (moindre réaction aux femelles en chaleur). Des travaux récents ont montré que la génistéine un des phytoestrogènes du soja réduisait l'activité du thymus et la production de Lymphocyte T CD4+ chez la souris.
Synergie entre estrogènes endogènes et phytoestrogènes
« Pour le moment, aucune étude n'a été menée pour savoir si le pic de LH... chez le nourrisson mâle, est perturbé par la prise de lait de soja. Il est pourtant troublant de constater que chez l'enfant nourri au lait de soja, comme chez le singe chez qui on a bloqué la sécrétion de LH, apparaissent des troubles immunitaires et des troubles de la minéralisation osseuse pour lesquels on a su trouver par ailleurs des explications variées », écrivent les auteurs. En outre, ils rapportent des travaux antérieurs montrant l'existence d'une synergie d'action entre les estrogènes endogènes et les phytoestrogènes sur les cellules cibles des estrogènes.
Les foetus sont imprégnés in utero des estrogènes maternels et les taux d'estradiol plasmatique sont élevés à la naissance. Ils diminuent rapidement dans les jours suivants, pour atteindre des taux inférieurs à 10 pg/ml. En cas d'allaitement avec une préparation à base de soja, les taux de phytoestrogènes se situent entre 1 000 et 2 000 ng/ml. L'impact de tels taux de phytoestrogènes sur les récepteurs aux estrogènes, exprimés tant par le tissu osseux que par le cerveau, les testicules et l'épididyme, est encore inconnu.
Ces phytoestrogènes sont présents en quantité très importante dans les préparations pour nourrissons à base de protéines de soja. Des analyses menées par l'équipe française, sur quelques préparations, montrent des taux de génistéine (l'un des phytoestrogènes) allant de 11,15 à 26,5 μg/ml et de daidzéine (autre phytoestrogène) allant de 6,35 à 13,1 μg/ml. Ce qui représente, pour une prise quotidienne de 900 ml de lait de soja, une quantité ingérée de phytoestrogènes allant de 15,75 à 34,26 mg/j. « A titre de comparaison, les compléments alimentaires commercialisés à destination des femmes ménopausées, en carence estrogénique, affichent des apports quotidiens variant de 20 à 72 mg/j. » Rapportés au poids, les nourrissons reçoivent entre 2 et 5 mg/kg/j (jusqu'à 18 mg/kg/j pour une préparation non infantile), une femme ménopausée entre 0,33 et 1,2 mg/kg/j.
Des effets, enfin, des phytoestrogènes ont été rapportés chez l'humain. Les enfants nourris au lait de soja auraient une plus faible réponse vaccinale et une plus grande sensibilité aux affections bénignes ORL. Des cas d'hypothyroïdie avec goitre (soy goiter) ont été rapportés, justifiant une supplémentation en iode, ainsi que des affections thyroïdiennes auto-immunes. Les femmes allaitées au soja dans l'enfance semblent avoir davantage de dysménorrhées et davantage d'acné lors des règles. Quant aux accouchements avant terme, de mort-nés ou de jumeaux, même s'ils semblent plus élevés, leur nombre n'est pas significatif sur un effectif réduit. « Ces résultats devraient inciter au moins à la prudence. »
Préférer les hydrolysats de protéine de lait de vache
Face à tous ces doutes, les spécialistes français considèrent qu'en cas d'allergie prouvée au lait de vache la substitution par hydrolysats de protéines doit être préférée à celle par formule infantile de soja avec isoflavones chez le nourrisson de moins de 4 mois. En effet, il faut éviter d'utiliser les formules infantiles à base de soja avant l'âge de la diversification alimentaire, c'est-à-dire environ 4 mois. Si la prescription de formules infantiles hypoallergéniques à destination des nourrissons s'impose, il semble préférable d'avoir recours aux hydrolysats de protéine de lait de vache ou encore à des formules à base de soja qui présentent des teneurs réduites en isoflavones. L'allaitement maternel reste toutefois la meilleure pratique à promouvoir en expliquant aux jeunes mamans l'intérêt d'une alimentation saine et de l'absence de conduites à risque (prises d'alcool, tabacs, drogues...).
Dr Guy BENZADON
C. Bennetau-Pelissero (Gradignan), Anna Rocca (Paris), Gabriel Peltre (Paris), Philippe Auriol (Toulouse), Fabienne Rancé (Bordeaux).
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