LE TEMPS DE LA MEDECINE
L'ADAGE populaire veut que le corps parle et ne mente jamais. Il serait beaucoup plus facile de mentir avec les mots parlés ou écrits qu'avec le corps. D'où la tendance à vouloir décrypter ce qui se cache derrière les mimiques, les regards, les gestes, les attitudes ou les postures. Déjà au XVIe siècle, Cureau de la Chambre, physionomiste et médecin de Louis XIV, affirmait, dans « l'Art de connaître les hommes » : « La nature n'a pas seulement donné à l'homme la voix et la langue, pour être les interprètes de ses pensées, mais dans la défiance qu'elle a eue qu'il en pouvait abuser, elle a encore fait parler son front et ses yeux pour les démentir, quand elles ne seraient pas fidèles. » Cependant, l'exigence de sincérité et d'authenticité naît avec Rousseau, au XVIIIe siècle. Son injonction « Soyez sincère ! » invite chacun à mettre bas les masques et à épancher des sentiments trop longtemps contenus. Cette nouvelle expressivité, rappellent Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche (« Histoire du visage, exprimer et taire ses émotions, XVIe et XIXe siècles »), rencontre alors un autre courant plus ancien qui prône la mesure, la retenue, la maîtrise de soi et le contrôle des passions, tel que le développent les manuels de civilité. Ces deux tendances paradoxales, laisser parler son cœur et son corps ou le faire taire, ne cesseront de s'entrecroiser tout au long de l'avènement de l'homme moderne, civilisé, inscrit dans une « société qui a fait de l'art de la conversation son fondement, du commerce son principe », affirment les deux auteurs.
Il est impossible de ne pas communiquer.
L'homme d'aujourd'hui, plongé dans un bain continuel de communication - on ne peut pas ne pas communiquer -, est soumis à cette double injonction. Ni trop froid ni trop distant, il doit trouver en toutes circonstances la bonne mesure, les bonnes attitudes. « Notre gestuelle est le révélateur de notre état, écrivent les spécialistes de la communication. Les gestes parasites sont le signe d'une émotivité qu'on ne domine pas ou d'un manque d'engagement. Les gestes "fermés" empêchent de convaincre et sont l'indice d'un repli sur soi, les gestes "ouverts" évoquent le partage, l'engagement et l'ouverture aux autres. »
Avant toute parole, le corps dit beaucoup plus que ce que nous voulons laisser transparaître. Un dos voûté, une tête rentrée dans les épaules, des bras croisés indiquent, quoi qu'on dise, un manque de confiance et une résistance au changement, par exemple. Les mains ou les doigts peuvent trahir : se tripoter les cheveux indique l'embarras, le mal-être, se gratter le nez ou tendre une main fuyante signale à l'autre que l'on est en train de mentir. Les conseils abondent pour aider à mieux se dominer dans les situations de stress, comme lors d'entretiens d'embauche. Se gratter le genou droit (manque d'enthousiasme), se mordiller la lèvre (panique ou manque de contrôle), croiser les bras en serrant les poings (agressivité) comptent parmi les gestes censés être rédhibitoires dans cette circonstance.
Cependant, ces règles peuvent être inopérantes si l'interlocuteur appartient à une culture différente. Selon les civilisations, le recours aux gestes et le sens des attitudes diffèrent. Les Italiens sont connus pour beaucoup parler avec les mains. Tapoter son front avec l'index signifie, pour un Français, « Il est fou » et, pour un Britannique, « Il est intelligent ». Former la lettre « O » avec son pouce et son index signifie, pour les Américains, « C'est d'accord », pour un Français, « C'est nul ». Pour un Japonais, le même geste fait référence à l'argent, alors que, pour un Arabe, il équivaut à une menace de mort. Les Japonais, lorsqu'ils saluent, restent à distance respectueuse, plutôt que serrer la main. Une poignée de main sera ressentie comme une infraction dans l'espace intime. L'espace entre deux interlocuteurs dépend pour beaucoup des cultures à laquelle ils appartiennent. Les Anglo-Saxons ont tendance à augmenter l'espace vital (à plus d'un mètre) ; les Méditerranéens, eux, n'hésitent pas à se rapprocher pour converser.
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