DE NOTRE CORRESPONDANT
SIX MOIS après que la Commission européenne a enjoint à la France d'assouplir le carcan législatif qui encadre jusqu'à présent la vente des jeux de hasard et d'argent, le premier centre de référence sur le jeu excessif vient d'être créé à Nantes. Jusqu'à présent, les joueurs français étaient relativement protégés, l'accessibilité des jeux étant plutôt limitée. A preuve : les Français sont moins nombreux à jouer que leurs voisins européens et on dénombre moins de joueurs pathologiques. Mais, depuis l'arrivée des jeux sur Internet, la donne a changé. Et la demande de l'institution bruxelloise d'une plus grande libéralisation devrait accroître logiquement les risques de dépendance.
Le centre de référence sur le jeu excessif naît donc dans un contexte bien particulier. Pour le Pr Jean-Luc Venisse, chef du service d'addictologie du CHU de Nantes, qui en est le responsable, c'est la consécration du travail engagé il y a vingt-cinq ans. En 1983 était publié aux PUF un ouvrage proposant une vision transversale sur les addictions avec ou sans drogues*. En 1990, un colloque international était organisé sur ce que l'on nommait alors «les nouvelles addictions». Et, la même année, l'unité d'addictologie était créée, alors que la notion même d'addictologie était discutée.
Cet intérêt ancien pour les addictions comportementales se traduit aujourd'hui par une file active de patients dont la moitié souffrent de ce type d'addictions. Un département de recherche et de formation sur les addictions comportementales existe déjà. Le tout nouveau centre de référence y est rattaché.
Fédérer les énergies.
Cette structure a pour objectif principal de «fédérer les énergies sur le sujet», selon le psychiatre nantais. «Il nous faut développer cette thématique auprès des professionnels de l'addictologie, poursuit-il. Le problème n'est pas assez pris en compte par les pouvoirs publics. Nous voulons que les joueurs puissent au moins trouver un centre spécialisé par région.»
Pour aller vers une meilleure couverture du territoire, outre la mission dévolue au centre de référence de développer des projets de recherche, l'unité proposera des formations qui s'adresseront aux professionnels de l'addictologie que sont les médecins, les infirmières, les psychologues… Et pour diffuser les travaux menés sur ce sujet et intensifier les actions de prévention, un espace Ressources (site Internet…) devrait ouvrir en septembre prochain.
Un travail de sensibilisation et de formation spécifique, car si beaucoup d'éléments thérapeutiques sont partagés avec les autres addictions comportementales, les joueurs pathologiques présentent des particularités médicales, telles que des distorsions cognitives (croyance irrationnelle en leur pouvoir de contrôler le hasard) et des comorbidités très fréquentes (troubles de l'humeur, dépression, troubles bipolaires) particulièrement importantes à repérer, d'autant qu' «elles peuvent être à l'origine de la dépendance», selon le Pr Venisse. En outre, un gros travail social doit être en général effectué : dossier de surendettement, mesure de curatelle, interdiction de casino…
Quel financement ?
Enfin, à terme, l'espoir est de voir d'autres centres de référence se créer ailleurs en France. Il faudra pour cela avoir réglé la question du financement. Même lancé dans le cadre du plan 2007-2011 sur les addictions, le centre de Nantes a pu être ouvert principalement grâce aux budgets accordés par la Française des jeux (750 000 euros) et le PMU (210 000 euros) sur les trois premières années, quand le CHU apporte 200 000 euros. Demain, qu'en sera-t-il de ce mécénat d'entreprises ? L'Etat financera-t-il directement un tel centre une fois que celui-ci sera mis sur les rails, comme il le fait généralement dans d'autres pays européens, ou d'autres partenariats seront-ils trouvés ? En attendant, la convention signée garantit l'indépendance du centre, précise le Pr Venisse.
* Pour en savoir plus : le rapport rendu par le Pr Venisse à la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) en mai 2007 sur le sujet est téléchargeable sur : www.drogues.gouv.fr/article5152.html.
Le plan Addictions
Le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions veut apporter «une réponse globale à un problème de santé publique majeur». Il prend en compte toutes les addictions, qu'elles soient ou non liées à des substances, et donc le jeu. Chaque année, pendant cinq ans, 77 millions d'euros doivent permettre de renforcer et de coordonner les dispositifs existants et de développer les ressources à toutes les étapes de la prise en charge. D'ici à 2011, chaque CHU devrait comporter un pôle d'addictologie qui a vocation à être à la fois un service d'addictologie de recours et un centre régional de référence, de formation et de recherche. La formation des professionnels et le développement de la recherche sont parmi les autres objectifs. L'INSERM a été chargée d'une expertise collective sur les addictions sans substances psychotropes, telles que les jeux d'argent ou de hasard, pour identifier les besoins en termes de soins et de prévention.
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