Si le pouvoir corrompt, la durée du pouvoir pourrit. De Vincent Auriol à François Mitterrand, les Français ne se donnent pas des jeunots pour présidents. Pendant longtemps, ce choix, ciblé sur des hommes qui avaient l'âge de la retraite quand ils ont accédé à la magistrature suprême, semblait relever de la sagesse : l'expérience augmente avec le temps.
Mais un homme politique n'est pas un plombier zingueur. Dans les fonctions successives qu'il occupe, avec l'intense souci de les garder, il finit, à la faveur des complicités de clan, par accepter les compromissions. Il n'y a pas de candidat dit important, ou de première ligne, qui n'ait environ trente années de politique derrière lui. Et comme l'exploration du passé donne lieu à des enquêtes de journalistes ou d'écrivains, quelque chose de négatif - ou de nauséabond - finit par sortir de la fouille. Il en va ainsi de Charles Pasqua, candidat à la présidence malgré trois mises en examen ; de Lionel Jospin, qui n'a jamais rien fait de malhonnête ni même de malséant, mais qui était trotskiste ; de Jacques Chirac, qui a dit un jour qu'il n'était pas candidat à toutes les fonctions de la République bien qu'il les eût presque toutes occupées et dont on exhume aujourd'hui, non sans délices, les fautes de jadis et de naguère. C'est l'éternelle histoire du cadavre dans le placard.
Un journaliste, d'ailleurs fort bien informé, publie un livre proche de l'essai psychanalytique dans lequel il tente de nous démontrer que c'est la haine de soi qui conduit M. Chirac à mépriser les autres et qu'il a rencontré Jean-Marie Le Pen en 1988. Ce qui a été confirmé par l'intéressé, en dépit d'un démenti naïf, pour ne pas dire affreusement maladroit, de l'Elysée.
Un homme d'Etat, emporté par sa vanité, raconte comment, au cours d'un colloque, il a gagné la présidentielle de 1974 en disant à Mitterrand qu'il n'avait pas le monopole du cur. Il est vrai que la formule a fait mouche, qu'elle est restée dans les annales, mais à quoi bon y revenir dès lors qu'il a perdu en 1981 contre le même Mitterrand et qu'il ne songe plus à nous rappeler son grandiloquent départ télévisé, avec un fauteuil vide ?
C'est Valéry Giscard d'Estaing, encore lui, qui porte à M. Chirac l'estocade, comme si peu lui importait que la droite ou la gauche l'emporte : déjà, en 1976, Chirac, alors Premier ministre de Giscard, exigeait la dissolution de l'Assemblée. Quand on sait quel désastre a été pour le président actuel la dissolution de 1997, on comprend que M. Giscard d'Estaing distille, sans en avoir l'air et sur ton de la confidence historique, un venin mortel. Tout Chirac ne serait donc qu'un homme dépourvu d'intuition, de vision, de pondération, seulement capable de prendre les plus calamiteuses des décisions. Entendez le message : allez-vous voter pour un président dont le seul instrument politique est la dissolution ?
Prenez-les tous, ces candidats qui ont trente ans ou plus de vie politique, et vous verrez, si vous parcourez leurs discours et les faits auxquels ils ont été associés, qu'ils ont été amenés à dire tout et le contraire de tout, à se contredire, à avoir épousé des courants ou des causes qu'ils ont ensuite trahis et, pour résumer, d'avoir moins servi des projets auxquels ils pouvaient être identifiés que d'avoir saisi les occasions qui passaient. Comme Chirac qui a préféré Giscard à Chaban, sans doute au nom du gaullisme, comme Jospin, fils spirituel de Mitterrand, qui a (en quelque sorte) tué son père, comme Mitterrand qui, en un demi-siècle, a pris, comme un caméléon, toutes les couleurs du spectre idéologique, en passant du pétainisme secret à la Résistance, puis de la droite à la gauche, de la répression en Algérie à l'exaltation de l'amitié franco-algérienne, du discours libertaire de Cancun au ni-ni économique.
Fallait-il vraiment, pour son propre bonheur, qu'il exerçât deux septennats ?
Nous manquons d'hommes neufs, dont le passé serait trop court pour que nous y trouvions, tôt ou tard, quelque erreur disqualifiante. D'ailleurs, en contemplant cette jungle où les règlements de comptes ne sont même plus discrets, où les agressions sont publiques et commises avec une joie qui n'est plus dissimulée, on se demande comment des hommes d'Etat aussi ambitieux peuvent à ce point manquer de décence et avoir aussi peu de respect pour les fonctions qu'ils ont ou qu'ils ont eues. Envahis par une « culture » surmédiatisée, peut-être sont-ils contaminés par l'audace de la presse, toujours soucieuse de gagner son badge d'irrévérence ? Mais elle n'est que témoin là où ils sont acteurs. C'est son rôle à elle de débusquer les mensonges, les passe-droits, les erreurs. Ce n'est pas le leur de remplacer le projet par le croche-pied, l'idée par ce que les Américains appellent « l'assassinat du personnage », l'intérêt pour la Nation par OK Corral. Sous le suffrage universel, la manipulation.
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