DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Un nouveau concept neurobiologique
Alors que, jusqu'à très récemment, les études scientifiques se concentraient sur la dopamine libérée dans le système nerveux central lors de la prise de drogue, déclenchant ainsi le phénomène de « récompense », de récentes études, notamment encadrées par Jean-Paul Tassin (neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, Collège de France), tendent à démontrer que d'autres phénomènes sont en cause.
C'est en injectant de la cocaïne à des rongeurs que ce dernier a réussi à mettre en évidence un système de couplage entre la sérotonine et la noradrénaline. «Après la prise de drogue, chaque système aidant à contrôler les impulsions et la vigilance devient autonome. On les découple», a expliqué le chercheur. Ce qui entraîne également le dérèglement de la dopamine. L'alcool serait ainsi la substance entraînant le plus de découplage, alors que le cannabis provoque un effet assez faible.
Jeux vidéo : passion et dépendance
En travaillant en collaboration avec les adolescents de la Maison de Solenn, à Paris, Serge Tisseron (psychiatre et psychanalyste) a su identifier différentes raisons au développement de phénomènes d'addiction par les jeux vidéo. Parmi celles-ci figurent la recherche d'un attachement sécurisé, à un moment de la vie où les angoisses d'abandon se réveillent, ainsi que les conflits de la petite enfance, l'envie de devenir maître de ses excitations, l'expérimentation d'un accordage affectif comme miroir de ses gestes si son entourage ne lui en offre pas et le désir d'incarner un idéal lorsque l'enfant aura, dans la plupart des cas, souffert d'un manque d'estime adaptée de la part de ses parents. «Il est recommandé dans ces cas d'essayer de leur redonner goût à l'interaction humaine vivante, notamment par le biais d'ateliers de joueurs dans le cadre d'une psychothérapie», a-t-il conseillé.
Les erreurs cognitives des joueurs pathologiques
Pourquoi un joueur prend-il le risque de jouer, alors qu'à long terme il obtiendra toujours une perte ? Réponse : parce qu'il pense pouvoir contrôler le résultat du jeu. C'est au cours de différentes expériences que Francisco Javier Labrador (docteur en psychologie, professeur de techniques de modification du comportement, université Complutense de Madrid) a pu démontrer la présence de pensées erronées chez le joueur pathologique. En général, celui-ci a une majorité de pensées irrationnelles pendant le jeu. «Les joueurs pathologiques ont plus d'erreurs de la pensée que les joueurs non pathologiques. Même si ces derniers en expriment également.» Les joueurs pathologiques auront tendance à personnaliser la machine, à penser qu'ils peuvent contrôler le hasard et, avec l'expérience, à pouvoir faire des prédictions. Toutefois, même si les joueurs font plus d'erreurs cognitives, les non-joueurs en font également… «Il existe peut-être une similitude entre les jeux vidéo et les jeux d'argent: avec le temps, les joueurs pensent qu'ils finiront par gagner.»
L'addiction au jeu : soins et thérapie
Parce que beaucoup de joueurs pathologiques ont été chanceux lors de leurs premières tentatives, ils pensent pouvoir par la suite développer une certaine habilité et croient sincèrement qu'ils pourront battre le hasard. «On nous apprend dans la vie qu'il faut tenir compte de notre expérience passée. Les jeux de hasard sont peut-être la seule exception!» Selon Robert Ladouceur* (professeur de psychologie à l'université de Laval, au Québec), peu de joueurs pathologiques consultent – 10 % d'entre eux le feront sur trois ans. «Prendre la décision d'arrêter, c'est reconnaître et accepter que l'argent est à jamais perdu et s'avouer vaincu par le jeu», assure-t-il. Comme traitement, Robert Ladouceur recommande de 15 à 20 séances de TCC (thérapie cognitive et comportementale) au cours desquelles ils apprendront à accepter le fait qu'ils ne peuvent contrôler le hasard, même si quatre sur dix joueurs pathologiques abandonnent durant le traitement.
* Auteur avec Stella Lachance de « Overcoming Pathological Gambling : Therapist Guide » (2006, éditions Oxford University Press).
Bientôt les CSAPA
Le plan gouvernemental 2004-2008 de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l'alcool prévoit la réorganisation du dispositif de prise en charge en addictologie, dans le cadre des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) visés à l'article L.312-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF). Ce cadre juridique a vocation à fusionner celui des centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) et des centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA). Les CSAPA devraient ainsi se substituer aux CSST et aux CCAA. Le projet de réforme prévoit un noyau commun de missions qui incomberaient à chaque CSAPA et une possibilité de spécialisation. L'innovation majeure concerne l'accompagnement des pratiques addictives sans substance.
SOS joueurs
Centre de traitement et de prévention du jeu pathologique aidé depuis 2000 par la Française des Jeux, mais aussi association d'aide au joueur et à sa famille, SOS joueurs aide les joueurs dits excessifs ou pathologiques à diminuer la pratique de jeu qui leur pose problème. L'association soutient les familles de joueurs afin de trouver des solutions pour se protéger des graves situations financières. Une permanence téléphonique et juridique permet d'être à l'écoute de patients souvent en situation délicate : 96,6 % des joueurs ainsi que leur famille sont endettés et 15,7 % des divorces sont dus au jeu.
SOS joueurs, 6, rue Million, 75015 Paris, tél. 0.810.600.115, www.sosjoueurs.free.fr.
Les addictions en Europe
Trois personnes sur quatre consomment de l'alcool et 15 % de la population a une consommation supérieure au seuil limite indiqué par l'OMS (3-4 verres par jour).
Une personne sur trois consomme du tabac et de 500 000 à 1 million en décèdent.
Une personne sur huit consomme des psychotropes.
Troubles associés au jeu pathologique : alcool (73,2 %), nicotine (60,4 %), troubles de la personnalité (60,8 %).
En France, on estime que de 0,6 à 0,8 % de la population souffre de jeu pathologique.
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