Une enzyme, la sérine protéase fécale, joue un rôle majeur dans la physiopathologie du syndrome de l'intestin irritable à prédominance diarrhéique. La flore colique des patients souffrant de ce trouble sécréterait cette enzyme de façon excessive. D'où, explique le Dr Lionel Bueno, une augmentation de la perméabilité de la barrière colique aux intrants luminaux et un accroissement de la sensibilité viscérale, mis en évidence chez l'animal, in vivo et in vitro, et chez l'homme.
LE SYNDROME de l'intestin irritable est une pathologie fréquente, puisqu'il touche 15 % de la population. Son origine reste partiellement inconnue à ce jour. Parmi les causes invoquées sont cités l'hypersensibilité viscérale, les troubles moteurs du transit gastro-intestinal, un état de stimulation immunitaire anormal de la muqueuse et des anomalies de la transmission neuronale. Une enzyme protéolytique, la sérine protéase fécale, serait également à l'origine de ces réactions. « Les protéases sont des molécules régulant le fonctionnement des cellules épithéliales coliques. Elles agissent sur des récepteurs appelés PAR (proteinase-activated receptors) et les activent. Quatre types de récepteurs PAR sont aujourd'hui connus. C'est le récepteur PAR2 qui serait impliqué dans la physiopathologie du syndrome du côlon irritable à prédominance diarrhéique. La perfusion d'agonistes PAR2 au niveau du côlon provoque en effet une activation des neurones afférents spinaux et entraîne une hyperalgie retardée, chez le rat. L'activation des récepteurs PAR2 par des sérines protéases luminales, augmente aussi la perméabilité cellulaire intestinale, par un mécanisme d'action directe sur les cellules épithéliales. Les enzymes provoquent leur contraction, d'où une augmentation de l'espace entre ces cellules, avec une hypersensibilité viscérale secondaire résultante, qui contribue aussi à entretenir le cercle vicieux de la douleur », explique le Dr Lionel Bueno (unité de neuro-gastro-entérologie, Inra, Toulouse). Une étude faite chez la souris a d'ailleurs confirmé le rôle de la sérine protéase fécale si elle est sécrétée de manière excessive. Des échantillons de fèces ont été prélevés chez des malades atteints de syndrome du côlon irritable à prédominance diarrhéique et chez des sujets témoins, indemnes de toute affection, homogénéisés dans du sérum physiologique, centrifugés, puis filtrés. Les deux types de solution ainsi obtenus ont été perfusés par voie intracolique à deux groupes de souris. Pour apprécier l'intensité de la réponse douloureuse secondaire à cette administration, l'activité myoélectrique des muscles abdominaux des rongeurs a été enregistrée 60 minutes après perfusion de 300 µl de solution. Les contractions ont été quatre fois plus nombreuses chez les souris ayant reçu des solutions provenant des selles de patients. Par ailleurs, des volumes de distension colique de plus en plus importants ont été créés. Après création d'une distension d'un volume de 0,02 ml, 30,6 contractions ont été observées chez les souris perfusées avec des solutions provenant de selles de patients, alors que ce nombre n'était que de 3,5 chez les souris perfusées avec des solutions provenant de sujets témoins. Les nombres de contractions induites par des distensions de 0,04 et de 0,06 ml de volume étaient égaux dans les deux groupes de souris, respectivement de 73,4 et de 18,9 pour chaque volume de distension. Les plus forts volumes de distension donnent des réponses analogues dans les deux lots d'animaux, ce qui caractérise un état d'allodynie (abaissement du seuil de sensibilité à la douleur), plutôt qu'une hyperalgésie, traduisant quant à elle une anomalie de la transmission des signaux à caractère nociceptif.
« Autre sujet d'étude, la perméabilité cellulaire, testée cette fois in vitro , sur des fragments de côlon de souris isolés. L'addition de 500µ l de solution provenant de selles de patients augmente la perméabilité cellulaire, qui est deux fois plus importante quecelle provoquée par une solution préparée à partir de selles de sujets témoins. Cette perméabilité accrue est à l'origine de l'hypersensibilité digestive, qui est associée à l'hyperalgie viscérale observée chez les patients souffrant du syndrome du côlon irritable à prédominance diarrhéique », poursuit le Dr Bueno.
Des résultats retrouvés chez l'homme.
Sur le plan clinique, l'élévation de l'activité sérine protéase fécale a également été observée chez l'homme, lors d'un essai contrôlé. Les objectifs de cette étude étaient de vérifier qu'une activité sérine protéase élevée était un marqueur physiopathologique du syndrome de l'intestin irritable à prédominance diarrhéique et de déterminer le lieu de sécrétion de cette enzyme. Cette étude a inclus 117 patients : 52 atteints de syndrome du côlon irritable se manifestant soit par une diarrhée, soit par une constipation, soit par l'alternance des deux troubles, 17 de colite ulcéreuse, 23 de diarrhée infectieuse et 25 témoins, indemnes de toute affection colique. Les selles de tous les sujets ont été prélevées et l'activité de différentes enzymes, dont celle de la sérine protéase fécale, a été mesurée. Une activité sérine protéase fécale deux fois plus élevée a été constatée chez les patients atteints d'un syndrome du côlon irritable à prédominance diarrhéique uniquement. L'activité sérine protéasique fécale est donc bien un marqueur spécifique qui semble être à l'origine des anomalies fonctionnelles et des symptômes liés au syndrome du côlon irritable.
D'après un entretien avec le Dr Lionel Bueno, Inra, Toulouse.
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