« LE QUOTIDIEN » a contacté deux des médecins qui ont participé à l'opération engagée par l'Arche de Zoé, censée secourir une centaine d'orphelins soudanais en danger de mort. Mais nous ne publierons pas leur identité. L'affaire connaît en effet des suites judiciaires en France et au Tchad, pour lesquelles les deux praticiens vont être appelés à fournir leur témoignage. Le sort de leur confrère, le Dr Philippe Van Winkelberg, est en jeu. Ce généraliste de Castellane (Alpes-de-Haute-Provence) reste détenu avec onze autres Européens à la maison d'arrêt de N'Djamena. Le week-end dernier, entre 500 et 600 habitants de son village, sous le coup de l'émotion, ont effectué une marche silencieuse pour demander son retour en France.
Avant le Dr Van Winkelberg, quatre médecins s'étaient succédé bénévolement à Abéché (nord-est du Tchad), où l'Arche de Zoé avait mis en place un orphelinat et un poste médical. Chef d'un service de réanimation de la banlieue parisienne, le Dr A. est arrivé au Tchad à la mi-septembre pour repartir trois semaines plus tard, travaillant notamment en binome avec le Dr L., urgentiste dans un SMUR du Nord de Paris, lui-même reparti le 20 octobre, c'est-à-dire le jour où, selon le scénario prévu tout d'abord, les enfants et les membres de l'association auraient dû regagner tous ensemble la France. «Si ce plan initial avait été appliqué, j'aurais donc pu me retrouver emprisonné, comme Philippe et les autres bénévoles, et je serais aujourd'hui filmé par les caméras de télévisions à l'intérieur de la maison d'arrêt de N'Djamena, comme eux sous le coup d'une mise en examen pour enlèvement d'enfants.»«Rétrospectivement, commente l'urgentiste, quand je vois comment les événements ont tourné, je me dis que j'aurais mieux fait de ne pas y aller.»
« Un travail médical en toute honorabilité et éthique. »
Dans le cadre de l'enquête, réalisée par l'agence Synchro-X, le Dr A. explique quant à lui qu'il a poursuivi sa mission jusqu'à son terme, surmontant «les doutes» qui l'ont assailli au fur et à mesure du déroulement des opérations : «Eric (Breteau, le président de l'Arche de Zoé) nous avait dit que nous allions recevoir 300enfants. Or, à la fin du mois de septembre, on en avait à peine 20 (...) Nous avons examiné ces enfants, qui étaient tous en très bonne santé. Sur place, je n'ai pensé qu'aux enfants, à leur bien-être.»
Le Dr L. estime également s'être avant tout comporté en médecin humanitaire. «J'ai effectué un travail médical en toute honorabilité et en toute éthique», assure-t-il. Dans quel état de santé se trouvaient les enfants ? «Pas tous en bon état, mais pas tous en mauvais état, certains souffraient de pathologies diverses et variées, comme on en rencontre dans ces régions en proie aux violences et à la pauvreté.» L'urgentiste s'abstient d'affirmer, comme on le lui a fait dire par ailleurs, que « si les gamins ont été trouvés en bonne santé le 25octobre, c'est grâce à nous, et au travail médical effectué par l'association ».
Un travail quoi qu'il en soit rendu très difficile par les conditions d'interrogatoire des enfants et l'absence de tout plateau technique : pas de radio, pas de moyens d'analyse, tout au plus des médicaments et des perfusions. «Des conditions d'exercice abracadabrantesques, comparativement à nos normes occidentales.»
Ces enfants étaient-ils bien des orphelins ? Le Dr L. répond qu'à aucun moment la question ne s'est posée pour lui qu'il ait pu en être autrement. Etaient-ils en danger de mort, ainsi que l'affirment les responsables de l'association ? «La formule est un raccourci. En réalité, ils étaient voués à un avenir des plus sombres: ils pouvaient se retrouver enfants soldats, prostitués ou esclaves. Alors, quand j'entends tel responsable tchadien évoquer des réseaux d'ONG pédophiles, franchement je préfère m'abstenir de commentaires.»
Comme des millions de téléspectateurs, le Dr L. a vu le reportage dans lequel les membres de l'association maquillent les enfants pour tromper la police de l'air, en les badigeonnant de Bétadine et en leur posant des fausses perfusions. «Quant à moi, note-t-il , j'avais déjà quitté le Tchad, je n'ai pas été témoin de telles scènes.» Comment, s'il avait été lui-même présent, aurait-il réagi et se serait-il prêté à ces opérations ? « C'est un peu comme si vous me demandiez si, sous l'Occupation, j'aurais été collaborateur ou résistant...»
A aucun moment, le généraliste ne met en cause ni Eric Breteau ni l'Arche. Au contraire de son confrère, le Dr A, qui témoigne carrément à charge : «Ce qui m'a choqué, explique-t-il, c'est que dans l'équipe de Children Rescue au Tchad, il y avait des personnes en mal d'enfants qui étaient là afin d'adopter. Il y avait toujours trois membres de l'association qui exerçaient sans cesse une pression sur nous. On sentait qu'ils ne voulaient pas nous expliquer clairement ce qu'ils voulaient faire. Très vite, la finalité de cette évacuation qui était l'extraction d'enfants en France nous a déplu, à mon équipe et à moi. On a essayé d'organiser un contre-pouvoir. On a dit clairement aux membres de l'association que nous étions là pour faire en sorte que les enfants soient en bonne santé, point. Et qu'on ne les aiderait pas à les faire évacuer.»
Pour le chef de service, «Eric est un mégalo qui croit qu'il va sauver la Terre entière. C'est un inconscient qui a mis en danger nos vies, nos réputations de médecins, nos professions.» > CHRISTIAN DELAHAYE
* Les initiales ont été modifiées.
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