Constituants biologiquement essentiels des graisses, les acides gras polyinsaturés (AGPI) sont les composants structuraux des membranes cellulaires, sous la forme de phospholipides, et sont aussi stockés dans le tissu adipeux sous forme de triglycérides. Ils interviennent comme médiateurs dans la plupart des processus biologiques et les altérations de la formation de leurs métabolites sont souvent associées aux mécanismes moléculaires menant aux maladies.
Les acides gras polyinsaturés ne sont pas génétiquement déterminés. Leur abondance dépend en premier lieu des apports alimentaires en acides gras essentiels, l'acide linoléique pour la famille des oméga 6 et l'acide alpha-linoléique, pour celle des oméga 3. Pour cette raison, les AGPI représentent des chaînons moléculaires privilégiés entre l'environnement et la genèse des maladies chroniques, incluant les cancers.
La présence de certains agents oxydants
Après le schéma simple qui s'imposait dans les années 80, la réalité est rapidement apparue plus complexe. L'action des acides gras oméga 3 sur la croissance des tumeurs (mammaires) dépend, en fait, des autres constituants des lipides, non seulement de leur proportion avec les acides gras oméga 6, mais aussi de la présence de certains agents oxydants comme la vitamine E. En réalité, on manque de données biochimiques sur les apports alimentaires passés. Les marqueurs de tels apports existent, mais sont d'accès difficile à l'échelon des populations. Le tissu adipeux représente un excellent marqueur car les composants lipidiques de l'alimentation s'y stockent de façon durable, reflétant bien les habitudes alimentaires. La confrontation de la composition en acides gras de ce tissu aux caractéristiques et à l'évolution de la tumeur traitée, chez des patientes opérées pour un cancer du sein ou une tumeur bénigne, a permis d'identifier plusieurs acides gras oméga 3 protecteurs contre le risque de cancer du sein (approche cas-témoins) ou contre le risque de métastases (par une approche de type « marqueurs pronostiques »). Ces acides gras sont l'acide alpha-linolénique (présent dans les légumes verts et dans certaines huiles végétales) et l'acide docosahexaénoïque (DHA), présent dans les produits de la mer (poissons des mers froides, huiles dérivées).
Retarder l'apparition du cancer du sein
De tels acides gras sont-ils susceptibles d'inhiber le développement des tumeurs mammaires ? Leur apport dans l'alimentation pourrait-il retarder l'apparition du cancer du sein ? Un modèle des tumeurs mammaires autochtones chez le rat a permis de comprendre leur interaction avec la vitamine E. Lorsque la ration de ces animaux est enrichie en acides gras polyinsaturés, l'apparition des tumeurs mammaires est plus rapide en présence de vitamine E. Toutefois, la vitamine E n'influence pas la croissance tumorale lorsque la ration ne comporte pas d'acides gras polyinsaturés. Dans ce système, l'action inhibitrice des acides gras oméga 3 sur l'apparition et la croissance des tumeurs mammaires est abolie par la vitamine E. Ainsi, de tels composés antioxydants apparaissent néfastes quand ils sont apportés à dose pharmacologique en situation de tumeur établie. En inhibant la peroxydation des acides gras polyinsaturés oméga 3, ils semblent également protéger les tissus cancéreux contre certains mécanismes de contrôle et d'élimination des tumeurs.
Ces acides gras interfèrent-ils avec la réponse des tumeurs aux traitements anticancéreux ? Récemment, on a observé que le DHA augmentait la réponse des tumeurs à certaines chimiothérapies utilisées dans le traitement du cancer du sein. En effet, en enrichissant la ration de rates porteuses de tumeurs mammaires, avec des huiles de poisson ou avec du DHA purifié, on a pu augmenter l'activité anti-tumorale d'anthracyclines (de Poncheville et coll.) sans augmenter les effets toxiques de ces agents sur d'autres organes. La sensibilité de ces tumeurs mammaires aux radiations ionisantes a également été augmentée (Paon L. et coll.), suggérant que l'alimentation pourrait influencer la sensibilité des tumeurs à la radiothérapie. Un essai thérapeutique est commencé depuis quelques mois au CHU de Tours. Il teste, chez des patientes volontaires, l'apport par voie orale d'une huile enrichie en DHA sur l'activation de la chimiothérapie qu'elles reçoivent pour des métastases d'un cancer du sein.
D'après la communication du Pr Philippe Bougnoux (oncologue médical, responsable de l'unité de recherche UPRES-EA 2103, Tours), lors d'une conférence organisée par l'Institut français de la nutrition.
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