SELON UNE ENQUÊTE menée dans six pays européens, l’euthanasie active par administration d’une substance létale reste rare. En revanche, une décision médicale a pu hâter la mort dans un ou deux décès «non soudains» sur trois. L’enquête EURELD (European End of Life Decisions), qui a été effectuée en 2002 simultanément en Belgique, au Danemark, en Italie, aux Pays-Bas, en Suède et en Suisse, a porté sur 20 480 décès. Ce sont les médecins ayant rempli les certificats de décès qui ont été invités à indiquer les décisions médicales pratiquées avant décès. Le taux de réponse des praticiens varie de 44 % en Italie à environ 60 % en Belgique, au Danemark, en Suède et en Suisse et jusqu’à 75 % aux Pays-Bas, où l’euthanasie a été légalisée. Dans tous les pays, environ un tiers des décès sont survenus «soudainement et de façon inattendue», ce qui exclut toute intervention médicale.
«La mort a été précédée d’une ou de plusieurs décisions de fin de vie, susceptibles d’avoir abrégé la vie du patient, dans un à deux tiers des cas restants», précisent les auteurs.
Ces décisions médicales concernent d’abord la mise en oeuvre de traitements de la douleur, dont un des effets peut être d’abréger la vie. Ce sont ensuite des décisions de ne pas mettre en oeuvre ou d’interrompre un traitement, rares en Italie (4 % des décès), mais plutôt fréquentes ailleurs : environ 14 % des décès en Suède, au Danemark et en Belgique, 20 % aux Pays-Bas et 28 % en Suisse.
Enfin, le décès assisté par le médecin, avec administration d’une substance dans l’intention explicite de hâter la mort, est beaucoup moins fréquent, même s’il existe dans tous les pays. D’après les déclarations des médecins, il représente de 0,1 % des décès en Italie à 1,8 % en Belgique et 3,4 % aux Pays-Bas, alors même que ces deux pays n’avaient pas légalisé l’euthanasie à l’époque de l’enquête. Lorsqu’ils prescrivent un traitement visant à soulager la douleur, les médecins ne se préoccupent pas en général de la réduction éventuelle de la survie qu’il peut entraîner, même s’ils savent qu’elle est possible. Les antidouleur administrés sont habituellement des opioïdes. Les autres décisions de fin de vie consistent le plus souvent à arrêter un traitement susceptible de prolonger la survie ou à ne pas le mettre en oeuvre. La décision de l’interruption d’une médication ou de l’hydratation et de la nutrition est la plus fréquente. Les décisions de non-traitement sont plus souvent discutées avec les patients ou leur famille aux Pays-Bas (95 %), en Belgique (85 %) et en Suisse (82 %) qu’au Danemark (72 %), en Suède (69 %) ou en Italie (68 %).
L’euthanasie peu fréquente.
De rares cas de suicide assisté par un médecin ont été enregistrés aux Pays-Bas (0,2 % du total des décès), mais ils sont plus fréquents en Suisse (0,4 %) où les malades sont souvent accompagnés par une association pour le « Droit de mourir ». Les suicides assistés sont très rares en Belgique et au Danemark et aucun cas n’a été enregistré en Suède ou en Italie. Parmi les décès assistés par un médecin, de 6 % (Pays-Bas) à 49 % (Belgique) ne font pas l’objet d’une discussion avec le patient, généralement parce qu’il n’est plus conscient au moment de prendre la décision.
Les décisions médicales de fin de vie ayant pour effet éventuel ou certain d’abréger la vie semblent finalement fréquentes dans les pays étudiés, où elles concernent un à deux tiers de toutes les morts «non subites». Toutefois, «la façon dont elles sont prises et mises en oeuvre n’est pas toujours adéquate, notent les auteurs. Ainsi, même lorsque l’intention de mettre un terme à la vie du patient est explicite, celui-ci ou les membres de sa famille ne sont pas toujours impliqués dans le processus de prise de décision, et les autres soignants ne sont pas toujours consultés». Par ailleurs, «dans tous les pays, les directives pour un traitement efficace des souffrances sont appliquées de façon inappropriée, les opioïdes étant par exemple administrés à des doses souvent trop faibles», poursuivent les auteurs.
«Enfin, on sait peu de choses sur le soin avec lequel les décisions médicales de fin de vie sont prises. On peut, par exemple, se demander si la pratique de la sédation profonde n’est pas considérée par certains praticiens comme une alternative pour mettre un terme à la vie avec des substances létales, mais sans complications légales, spécialement lorsque la nutrition et l’hydratation ont été interrompues.»
En conclusion, les auteurs estiment que, «si l’on veut à l’avenir faire progresser la qualité des soins en fin de vie et la façon dont ils sont mis en oeuvre, il importe de disposer de données». Ils espèrent que ce type d’étude pourra être étendu à d’autres pays, «notamment en France, où une nouvelle loi est entrée en application en février 2006** sans qu’on ne connaisse vraiment la réalité des pratiques».
« Population & Sociétés » n° 430, janvier 2007, accessible sur : ined.fr.
** La loi sur le droit des malades et la fin de vie, dite loi Leonetti, a fait l’objet d’un relatif consensus, mais l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et ceux qui défendent la « loi Vincent Humbert » veulent toujours faire évoluer la législation vers un droit à l’euthanasie.
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