L’ACROLÉINE, un aldéhyde présent en grande quantité dans la fumée de cigarette (de 10 à 500 µg par cigarette), pourrait jouer une rôle important dans le développement du cancer du poumon des fumeurs.
Une équipe de l’école de médecine de l’université de New York (Tuxedo) vient en effet de démontrer que cette substance induit des mutations de l’ADN fréquemment retrouvées dans les tissus cancéreux des fumeurs. L’acroléine semble en outre favoriser la carcinogenèse en inhibant certains mécanismes de maintien de l’intégrité du génome.
Plusieurs études ont suggéré que les altérations génétiques associées aux cancers du poumon du fumeur, en particulier celles touchant le gène suppresseur de tumeur p53, sont induites par les hydrocarbures polycycliques aromatiques (HPA). Cependant, les HPA constituent une part infime des substances carcinogènes contenues dans la fumée de cigarette. Cette observation a conduit Feng et coll. à s’interroger sur la prédominance du rôle des HPA dans la carcinogenèse pulmonaire liée au tabagisme et à rechercher dans la fumée de cigarette d’autres molécules susceptibles de conduire à des lésions génétiques identiques.
Mille fois plus abondante que les HPA.
Les chercheurs ont focalisé leur attention sur un aldéhyde mutagène et réactif, l’acroléine. Cette substance est mille fois plus abondante que les HPA dans la fumée de cigarette. Elle pénètre facilement dans les cellules humaines où elle induit la formation d’un pontage entre les nucléotides de l’ADN chromosomique. Ces lésions du matériel génétique entraînent l’apparition de mutations de type transversion (essentiellement G:C ->T:A), similaires à celles induites par les HPA. Une étude ayant en outre montré que les lésions de l’ADN provoquées par l’acroléine sont plus fréquentes dans les tissus oraux des fumeurs que dans ceux des non-fumeurs, Feng et coll. ont décidé de tester l’hypothèse selon laquelle cet aldéhyde jouerait une rôle majeur dans la mutagenèse et la carcinogenèse associées au tabagisme.
Dans ce but, les chercheurs ont tout d’abord cartographié les lésions induites par l’acroléine au niveau du gène p53. Pour ce faire, ils ont utilisé un système expérimental fondé sur la capacité d’un complexe enzymatique bactérien, UvrABC, à reconnaître les anomalies de l’ADN. Cette expérience a montré que l’aldéhyde étudié n’altère pas l’ADN de manière aléatoire, mais va préférentiellement agir sur des sites particuliers. Au niveau du gène p53, ces sites correspondent aux points chauds de mutation mis en évidence chez les fumeurs.
Inhibition de la réparation.
Par ailleurs, il est apparu que l’acroléine participe à la carcinogenèse en diminuant la capacité des cellules humaines à réparer leur ADN. Dans la plupart des situations, lorsqu’une lésion apparaît sur un chromosome, un système cellulaire complexe va détecter l’altération du matériel génétique, arrêter le cycle cellulaire et réparer les dégâts. Si la lésion n’est pas réparable, le système va enclencher le programme de mort cellulaire par apoptose. L’ensemble de ces mécanismes de surveillance et de réparation du génome évite la multiplication des cellules anormales et, ainsi, la carcinogenèse. Les travaux de Feng et coll. montrent que l’acroléine s’oppose au bon fonctionnement de cette machinerie dans le maintien de l’intégrité du génome en inhibant le fonctionnement d’au moins un des systèmes de réparation de l’ADN, le système de réparation par excision de nucléotides.
Ainsi, l’hypothèse de départ est confirmée : l’acroléine induit des mutations associées au cancer du poumon du fumeur et favorise la carcinogenèse en inhibant la réparation des lésion de l’ADN.
Arrêter de fumer est évidemment la manière la plus efficace de réduire un risque de cancer du poumon lié au tabagisme. Mais, selon Feng et coll., lorsqu’on se place à l’échelle de la population mondiale, «cette approche n’est pas réaliste à court terme». Ils proposent une solution alternative, qu’ils qualifient de «plus simple et plus réaliste» : identifier les agents étiologiques des cancers induits par le tabac et mettre au point de méthodes permettant de les éliminer de la fumée de tabac. Si leurs résultats concernant l’effet de l’acroléine sont confirmés, il faudrait, toujours selon eux, mettre en place au plus tôt des mesures visant à réduire la concentration de ce contaminant dans la fumée de cigarette et dans l’environnement.
Z. Feng et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature