LE DOCTEUR G, 70 ans environ, obstétricien aujourd'hui à la retraite, a mis au monde plus de vingt mille enfants dans le nord de la France. Né dans un milieu où il n'y avait ni architecte ni avocat, mais des cultivateurs, il était fier d'être devenu médecin, puis heureux d'être obstétricien. Aujourd'hui, il ne regrette pourtant pas d'avoir mis un terme à son activité car, dit-il, rien ne va plus pour ceux qui ont choisi de faire ce métier. S'il n'exerce plus, il a néanmoins beaucoup de choses à dire sur le sujet. D'où cet essai au ton pamphlétaire, écrit anonymement de façon à ne pas subir les poursuites judiciaires éventuelles de quelques patientes, dont il évoque l'histoire. C'est à
93 ans, âge qu'il aura lorsque les poursuites judiciaires seront prescrites, qu'il nous donnera son identité, précise-t-il, tout en admettant que l'anonymat de ce livre soit à lui seul un symptôme de ce qui ne va plus dans notre société !
En attendant, il s'exprime sans mâcher ses mots, pour dénoncer « la sottise d'un système qui dérive vers la mécanisation de l'acte et l'absence de morale en tous domaines ». Tout y passe : l'image de la maternité, de la paternité, le risque médical, la banalisation de l'avortement, de la pilule du lendemain distribuée dans les lycées, les rapports viciés entre praticien et « cliente », l'obligation d'être politiquement correct, l'interdiction d'être créatif. Si quelques propos peuvent choquer, la rage de ce Dr G fait réfléchir, et ces expressions truculentes tombent aussi souvent justes qu'elles sont drôles.
Crise des vocations.
Il ne faut pas s'étonner que les obstétriciens soient de moins en moins nombreux, explique-t-il. Paradoxe de notre recherche de sophistication technique, au train où va la démographie médicale, de plus en plus de femmes seront bientôt contraintes d'accoucher à domicile faute de structures et d'accoucheurs. Triomphe du consumérisme et de la dérive judiciaire, le métier ne peut plus être ce qu'il était. « On n'accueille plus la grossesse,aujourd'hui, on la programme (...) tout se passe comme s'il existait une sorte de droit à l'enfant, devenu passeport vers la normalité sociale », explique le Dr G.
Le rapport des femmes à la masculinité non plus n'est plus ce qu'il était. En témoigne l'irruption plus ou moins volontaire des pères dans les salles d'accouchement ; les récits du Dr G, qui a vu peu à peu arriver les papas dans les salles de travail, puis dans les cours de préparation à l'accouchement, sont d'une causticité hilarante. La mode, forcément changeante, donne désormais le ton : modes des accouchements sans violence, dans l'eau, en musique. L'œil du Dr G, d'abord bienveillant et fataliste, est devenu de plus en plus critique au fil des années : « Il n'y a que la naissance sans connerie que l'on ait pas inventée », dit-il. Il a pourtant manifestement beaucoup aimé son métier, mais, si c'était à refaire, il choisirait une autre voie et explique pourquoi avec la passion des amoureux de la liberté.
L'honneur du métier.
Paradoxalement, sa vocation d'obstétricien lui est venue, à l'occasion de sa première garde, en voyant, impuissant, une jeune fille de 20 ans mourir d'une septicémie après un accouchement clandestin. Avant tout accoucheur, il a pourtant pratiqué de nombreux avortements, mais déplore ne plus pouvoir les réaliser sans enthousiasme et avec la gravité que cet acte mérite : « Je suis pour l'avortement, mais je suis contre les sanisettes avorteuses et les comprimés de myfégine que l'on prend chez soi sans témoin. » De fait, seuls des rapports de confiance, de respect et une certaine liberté de la pratique permettent de faire ce métier difficile. Aujourd'hui, « les bébés nés dans un monde ultraprévisible, où la nature n'est plus accompagnée, mais gouvernée et maîtrisée, calibrée, se rapprochent insensiblement des poulets ou des veaux nés en batterie », explique-t-il. Et comme nous ne sommes justement pas des poulets de Bresse, l'honneur des médecins n'est pas dans la garantie du produit, mais dans celle de sa bonne volonté. Le médecin accoucheur ne peut que s'alarmer d'assister à la naissance de ces enfants objets, de ces « bébés La Redoute ». Le Dr G raconte qu'il avait l'habitude de tracer avec son pouce une croix au front du bébé qu'il venait de mettre au monde, quelle que soit sa religion, histoire simplement de lui souhaiter la bienvenue dans ce monde, « comme le geste que l'on adresse à la colombe qui s'envole ». C'est impensable de nos jours, tant ce geste serait interprété comme odieux et partisan, souligne-t-il, pour nous faire mesurer le carcan dans lequel nous sommes désormais enfermés. Ma conscience n'appartient à personne, dit-il, je confesse avoir tracé cette croix au front de la plupart des enfants que j'ai mis au monde et « souvent prié pour que leur destin soit digne d'un homme. Quand on voyait les parents, ce n'était pas gagné d'avance »...
« L'Accouchement sans honneur », du Docteur G, éditions du Rocher, 144 pages, 11,90 euros.
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