« Vous me devez la transparence », dit le patient à son médecin. En réalité, que faut-il comprendre quand le patient veut utiliser la loi Kouchner comme une arme ? N'est-ce pas sa vie, son corps dont le malade exige la remise à neuf ? N'est-ce pas la quête d'une illusoire garantie ?
Trêve de psychanalyse de comptoir : la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, c'est du concret. « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et des établissements de santé », stipule l'article L.1111-7 du code de la santé publique. Un mineur peut garder le secret sur un traitement ou une intervention dont il a fait l'objet, en s'opposant à toute communication sur le sujet de son médecin à l'autorité parentale (décret d'application 2002-637 du 30 avril 2002). Quel usage de la loi les patients font-ils ? Comment le corps médical réagit-il ? C'est ce que « le Quotidien » a tenté de savoir en consultant généralistes, spécialistes et hôpitaux publics.
Le colloque singulier, vitrine de la transparence
En médecine libérale, non hospitalière, la loi Kouchner n'a que peu d'incidences. Ou alors elles n'ont pas entraîné de changements de comportement notoires chez les 55 000 généralistes de plein exercice que compte le pays. Les médecins de famille, par définition, sont proches des patients. Et l'ordinateur, adopté par « 75 à 80 % d'entre eux », n'entame en rien la qualité du colloque singulier, « dans la mesure où ils saisissent les données en direct, contrairement à leurs confrères spécialistes qui dictent à leur secrétariat », déclare le Dr Pierre Costes, président de MG-France. Bien avant la législation du 4 mars 2002, le généraliste a appris à écrire « lisible » sur son écran.
Du côté des patients, aucun changement d'attitude n'est non plus observé. « Je n'ai pas de retours », dit au « Quotidien » le responsable syndical. En revanche, « sachant que le dossier médical devient accessible, le praticien écrit ce que le malade peut lire, ou pourrait lire ». Des « éléments réducteurs », qui figuraient en note naguère, disparaissent : « Fait n'importe quoi avec son traitement » devient « Difficultés d'observance », confesse-t-il. Ici, dans le cabinet du généraliste, la transparence est imposée, faute de quoi « le patient va voir ailleurs ». « Il n'y a pas place pour la judiciarisation, comme en milieu hospitalier, où l'on a affaire davantage à l'établissement qu'à un médecin, et où ce dernier n'apparaît qu'en cas de faute », ajoute le Dr Pierre Costes . « En médecine générale, précise-t-il encore, si on gardait encore les radiographies à la fin des années 1980, aujourd'hui ce n'est plus le cas ; on se contente de conserver un double du compte rendu radiographique. L'évolution s'est produite rapidement et souplement, en fonction de l'attente des patients, de plus en plus alphabétisés en santé. »
De multiples tracasseries pour les libéraux en clinique
Quant aux spécialistes libéraux, s'ils se retrouvent dans les mêmes conditions que les généralistes lorsqu'ils exercent en ville, il en va tout autrement quand ils font de l'hospitalisation. « La moitié de notre activité se passe en clinique », fait remarquer au « Quotidien » le Dr Jean-François Rey, responsable de l'Union des médecins spécialistes (UMESPE-CSMF). « Or, là, nous sortons du cadre strict du colloque singulier, la présence de la famille en témoigne. Et c'est souvent de la famille que viennent les difficultés de communication. » Les demandes de copies d'hospitalisation ou d'examen de moins de cinq ans ou d'actes plus anciens (à satisfaire respectivement dans les huit jours et dans les deux mois) ont « doublé », estime-t-il. Il y a toujours « 10 % d'emmerdeurs, comme par le passé », dit l'hépato-gastro-entérologue, mais aussi des patients dont la curiosité est associée, parfois, à une volonté d'aller jusqu'au procès, « puisque c'est la loi ». Vingt-cinq pour cent des déclarations de sinistres des anesthésistes-réanimateurs portent sur des dommages comme les dents cassées, alors qu'elles étaient cariées à l'origine. « L'esprit de la loi, qui vise à améliorer la communication, est louable, concède le Dr Rey, mais nous déplorons l'usage non pertinent qui en est fait. On ne peut pas tout demander, surtout dans les huit jours, compte tenu du temps de médecin et de secrétariat non rémunéré que cela entraîne ; sauf peut-être sur un dossier récent. Et puis, ajoute-t-il, il y a longtemps que nos patients sortent de l'hôpital privé avec les pièces qui leur sont dues. C'est dire que les démarches actuelles, qui se multiplient, résultent de la perte des documents par les malades eux-mêmes. Il convient de réexpliquer la loi. Il ne faut pas que le patient harcèle son médecin, pour tout savoir, tout de suite, alors que le praticien peut être en phase d'investigation et d'interrogation, face à un patient âgé de 75 ans, par exemple. "Vous me devez la transparence" s'entend-ilrépliquer. » « Par ailleurs, dit avec force le spécialiste , nous ne sommes pas anglo-saxons au point d'annoncer tout de go, car c'est dans leur culture, un diagnostic de fin de vie. »
A l'AP-HP, l'information, c'est la santé
A l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), l'un des 39 établissements ou groupes hospitaliers de l'Assistance publique de Paris, on est décidé à appliquer la loi Kouchner. « Il faut bien le savoir, le malade est en manque d'information, on ne communique pas assez avec lui », admet Jean Wils chargé du bureau des droits des usagers. La nouvelle législation est une aubaine, dans la mesure où elle cherche, « par la communication des personnels de santé, à rendre le patient plus acteur de ses soins qu'il ne l'est ». Les 3 000 patients hospitalisés chaque mois à l'HEGP (1) « ont besoin d'entendre des médecins des informations, pendant tout le temps de leur séjour, sur des résultats d'examen ou les raisons d'une opération annoncée ».
Les kinés, les infirmiers, les diététiciens ou les psychologues n'échappent pas à « la nécessaire communication en direct ». « Il importe, évidemment, d'être efficace, en s'assurant que le malade a bien compris ce qu'il a entendu et qu'il a pu poser les questions qui le préoccupent. » En clair, il faut être formé. « La communication, hormis pour ceux chez qui elle est spontanée, ça s'apprend. » En complément de l'information orale due aux malades, et toujours conformément à la législation, Jean Wils, de conserve avec la Direction des affaires médicales, le Pr Jean-Yves Fagon (réanimation médicale), président du Comité médical consultatif, et les deux représentants des usagers (2), souhaitent que tous les services de Georges-Pompidou remettent systématiquement aux hospitalisés, à leur sortie, un certain nombre de documents, comme le compte rendu d'hospitalisation, voire des radiographies et/ou des résultats d'examens biologiques.
Pour l'heure, aucune liste n'est établie ; en cancérologie ou en réanimation, il ne semble pas possible de livrer au patient tout ce qui est consigné. Comme le note Monsieur Droits des usagers à l'HEGP, « à un moment où l'hôpital public est en crise, et ça va s'aggraver avec les 35 heures et le manque de personnel », la loi Kouchner entraîne le bouleversement de beaucoup de comportements. « Cette notion du patient responsable (...) , qui a besoin d'être informé de façon rigoureuse et loyale afin qu'il puisse prendre des décisions intelligentes en fonction de ses propres projets de vie, cette notion-là s'appelle la démocratie sanitaire », écrit, dans « Info HEGP », Tim Greacen, porte-parole des usagers et président de la Commission de conciliation .
La demande de dossiers médicaux multipliée par quatre
Reste la demande de dossier médical, par voie postale, une fois que le patient est sorti de l'hôpital. Quand la transparence, par la communication, n'a pas joué à fond durant l'hospitalisation, il a la possibilité d'utiliser ce droit que lui accorde désormais en tant que tel le législateur. A l'HEGP, de 20 à 25 personnes par mois ont désiré recevoir des documents médicaux, contre 5 ou 6 avant la loi. « Ce n'est pas l'explosion imaginée par certains », commente Jean Wils, pour qui l'évolution est similaire dans les hôpitaux et les CHU de province. Sur soixante-six demandes reçues par la Direction de l'établissement, entre le début de mai et la fin de juillet (les demandes faites directement dans les services sont inconnues de M. Wils), cinq ont trait à un compte rendu d'hospitalisation, douze concernent des informations pour le médecin traitant, vingt et un des dossiers médicaux complets, dont onze pour des ayants droit, « traduisant soit l'incompréhension de la mort, soit, éventuellement, une suspicion de faute médicale », une est relative à un problème suspecté par le patient ou avéré, et vingt sept visent des documents datant de plus de vingt ans. Ces dernières requêtes - qui font référence à Boucicaut, à Broussais et à Laennec, les trois hôpitaux regroupés à l'HEGP - ont pour objet d'aider à reconstruire l'histoire d'une famille ou d'un malade. « Elles montrent bien qu'un dossier médical, c'est l'histoire d'une vie, et pas seulement une radio ou des résultats biologiques », insiste M. Wils. A propos des demandes de dossiers médicaux complets, une partie concerne une suspicion de faute médicale ( « le patient se considère comme victime ») et une autre s'explique par des changements de lieu d'habitation et de médecin. Pour les satisfaire, l'HEGP propose aux intéressés un contact avec le médecin conciliateur, le Pr Jean-Claude Valcke (médecine interne), ou avec le praticien qui s'est occupé d'eux lors de leur hospitalisation, entretien au terme duquel est remis le dossier. En cas de refus, les pièces sont envoyées par La Poste. « L'entretien que nous préconisons donne la possibilité d'aborder le problème que se pose l'hospitalisé ou l'ayant droit, explique Jean Wils. Très souvent, au départ, il y a eu une mauvaise communication avec le soignant. Aussi, le fait de comprendre ce qui s'est passé, de parler, d'exprimer sa souffrance, car il y a toujours un problème derrière, se révèle positif. Une personne, un jour, a même failli oublier de repartir avec les photocopies que nous lui avions préparées. »
Mais quand l'hospitalisation a duré plusieurs semaines, réaliser un dossier complet implique un gros travail pour l'équipe médicale et son secrétariat : de l'ordre de 600 photocopies, à 0,18 euro l'unité, et une trentaines de clichés, à 4,70 euros pièce, soit un coût de quelque 249 euros (1 633 F) pour le patient.
En direct sur Internet
A l'institut mutualiste Montsouris (IMM) de Paris, le service d'urologie du Pr Guy Vallancien permet à une centaine d'internautes atteints d'un cancer de la prostate pris au début de suivre sur le Net, à titre confidentiel, leur dossier oncologique (3). La société informatique Medcost (site Doctissimo), dirigée par le Dr Laurent Alexandre, chargée de l'opération depuis trois ans, a veillé à répondre aux « contraintes de sécurité (information en réseau) et de traçabilité des communications » imposées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Là encore, « cela aide le patient à mieux comprendre l'évolution de sa maladie et à exorciser sa tumeur ». « A une époque où le temps pour baby-sitter le malade en milieu hospitalier n'est pas illimité », la formule était à inventer. « Rendez-vous compte, s'exclame le Dr Laurent Alexandre, le cancéreux internaute, tout seul chez lui, qui se sent gagné par l'angoisse, peut ouvrir son dossier médical et être rassuré. Rien ne l'empêche de discuter avec son médecin, mais la rencontre ne durera que quelques minutes. Sur le Net, il peut rester des heures.»
Pour autant, doit-on tout dire, en particulier quand ça va très mal ? « C'est sans doute plus délicat par voie électronique. Mais, dans tous les cas, dans la société française, la culture athée rend difficile à gérer une information en fin de vie. Aux Etats-Unis, où 96 % des gens croient en Dieu et au paradis, si on annonce à quelqu'un qu'il va mourir dans les quinze jours, ce n'est pas un problème. Tous ses proches vont prier pour lui. En France, c'est une catastrophe. Et bien évidemment, conclut le Dr Alexandre, le dossier médical électronique ne saurait être mis entre les mains de psychotiques, et autres malades psychiatriques, au risque d'aggraver leur état. »
(1) L'HEGP (845 lits), ouvert en juillet 2000, fait travailler 3 200 personnes, dont 800 médecins. Son activité s'organise autour de trois pôles majeurs : la cancérologie, les maladies cardio-vasculaires et les urgences.
(2) Tim Greacen, bénévole à AIDES-Paris et Claire Compagnon, directrice de la Ligue nationale contre le cancer. Ils siègent l'un et l'autre à la Commission de surveillance (interface de l'administration centrale de l'AP) et à la Commission de conciliation., laquelle va être remplacée (décret en attente) par la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge et par la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI). S'il y a faute, la CRCI transmet le dossier aux assurances pour un règlement dans l'année. En cas d'aléa thérapeutique, l'indemnisation relève de la solidarité nationale lorsque le dommage entraîne une incapacité d'au moins 25 %.
(3) L'IMM (416 lits) est un hôpital privé à but non lucratif participant au service public hospitalier.
A l'AP-HP : 8,7 millions d'actes, 83 dossiers en justice
L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), avec 39 hôpitaux et groupes hospitaliers, a enregistré, en 2000, 4 673 000 consultations, 1 003 700 hospitalisations, 918 634 passages aux urgences et 2 117 600 examens liés aux activités médico-techniques (radiologie, analyses de laboratoire, scanner, IRM, etc.), soit un total de 8 712 934 actes.
La direction des Affaires juridiques a eu à traiter, l'année suivante, quelque 1 170 dossiers. Cinq cent cinq ont été considérés comme irrecevables juridiquement ; il s'agit de personnes se plaignant de rapports humains désagréables. Cinq cent quatre-vingt-deux ont été traités « en réclamations », parmi lesquelles 156 ont fait l'objet d'une indemnisation. Et 83 seulement relèvent d'instruction au pénal ou devant une juridiction administrative.
Qui et comment
Le décret sur « l'accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé » date du 29 avril et est publié au « Journal officiel » du 30. La demande peut être faite par l'intéressé, son représentant légal s'il est mineur ou incapable, ses ayants droit s'il est décédé, ou un médecin désigné. La communication des informations doit intervenir dans un délai de huit jours suivant la demande, après un délai de réflexion de 48 heures ; le délai est porté à deux mois quand les informations remontent à plus de cinq ans. Le demandeur peut consulter les documents sur place et en obtenir des copies ou les recevoir par courrier.
En ce qui concerne les établissements de santé, le décret fait la liste des nombreux éléments que doit contenir le dossier médical.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature