TOUT COMPTE FAIT, la santé est parvenue à se faire une petite place dans cette campagne présidentielle marquée par le « zapping » thématique et l'absence de dominante (« le Quotidien » du 20 avril). Jouera-t-elle un rôle dans les deux semaines qui nous séparent du second tour de l'élection ? A supposer que ce thème soit occulté, le dérapage des dépenses d'assurance-maladie ces derniers mois – qui fait peser la menace d'une intervention du comité d'alerte – ne tardera pas, en tout cas, à se rappeler au bon souvenir du nouveau chef d'Etat et de son gouvernement, quel qu'il soit. La branche maladie de la Sécurité sociale restant déficitaire (– 5,9 milliards d'euros à fin 2006 malgré un redressement de 2 milliards par rapport à 2005), un serrage de vis n'est pas exclu, en attendant une éventuelle réforme du financement de la protection sociale.
Si la santé intervient maintenant dans le débat entre les deux candidats restés en lice jusqu'au 6 mai, gageons que les problèmes d'accès aux soins – déjà prégnants avant le premier tour – seront soulevés. D'autant que la campagne électorale de ces dernières semaines avait déjà évoqué en filigrane les inégalités sanitaires sous toutes leurs formes.
Problèmes financiers.
Le premier barrage à l'accès aux soins est un mur financier. Certains programmes présidentiels en ont tenu compte en prévoyant des mesures contre l'effet de seuil de la CMU (François Bayrou) ou des sanctions contre les refus de soins à ses bénéficiaires (Ségolène Royal). Quant au projet de quadruple franchise annuelle dévoilé début avril par Nicolas Sarkozy (sur les examens biologiques, les médicaments, les consultations et les hospitalisations), il a été considéré à gauche comme une «première étape de la privatisation» de la Sécu et suscité diverses réprobations. La Csmf, premier syndicat de médecins libéraux, a pris ses distances avec l'idée d'une franchise non remboursable dans son projet 2007-2015, au motif qu'elle induit un risque d' «incompatibilité avec le maintien de la solvabilité des soins». Par ailleurs, la pétition contre la franchise Sarkozy, lancée début avril par plusieurs personnalités du monde de la santé, avait recueilli environ 16 700 signatures en fin de semaine dernière.
Autre frein pécuniaire à l'accès aux soins : les suppléments d'honoraires médicaux de toute nature. Qu'ils soient encadrés, illégaux ou non, ils ont fait l'objet, ces derniers jours, de tirs croisés manifestement non fortuits en période d'élection et de négociation du secteur optionnel (prévu par l'accord chirurgiens de 2004). Peu après la dénonciation des affaires de Chalon-sur-Saône et de Metz (dans lesquelles deux chirurgiens ont été accusés de «dessous-de-table» ou d' «extorsion de fonds»), les fuites dans la presse sur le contenu d'un prérapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont ravivé la polémique (« le Quotidien » des 13 et 16 avril). Ce document provisoire de l'Igas dénonçait «l'obstacle à l'accès aux soins» que représente la croissance «non maîtrisée» des dépassements d'honoraires des praticiens libéraux et hospitaliers, dont le montant total est estimé à «près de 2milliards d'euros en 2005». Les politiques et la Mutualité française (qui fait de l'égalité d'accès aux soins son cheval de bataille) sont montés au créneau pour s'insurger contre ces dépassements tarifaires, payés à hauteur d'un tiers par les complémentaires et par les ménages pour les deux tiers. Le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss, qui fédère 25 associations de patients et d'usagers) a réclamé quant à lui «la refondation du pacte social avec les médecins».
Les syndicats de médecins libéraux ont beau protester contre «l'opprobre» ainsi jeté sur leur profession, le sujet reviendra bientôt à l'ordre du jour. Le ministère de la Santé a promis en effet une table ronde fin avril, «sur la base du constat dressé par l'Igas», réunissant l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) et les syndicats de médecins «afin de prendre les mesures nécessaires pour éviter des dépassements d'honoraires abusifs». Enfin, la Cfdt vient d'invoquer l'accès aux soins pour repousser la revalorisation à 22 euros de la consultation généraliste.
Si les entraves financières à l'accès au système de santé ont focalisé l'attention ces derniers temps, elles ne doivent pas, bien sûr, faire oublier les autres formes d'inégalités géographiques et sectorielles, ni les disparités en termes d'information et de transparence sur la qualité du système. Médecins généralistes, psychiatres, pédiatres, infirmières ont donné de la voix et restent en éveil pour alerter l'opinion sur leurs problèmes démographiques. Face à la désertification de certaines banlieues et zones rurales, le débat peut encore osciller entre incitation au regroupement et remise en cause de la liberté d'installation.
La question de l'accès aux soins a donc de quoi donner du grain à moudre aux deux aspirants à l'Elysée… s'ils s'en saisissent.
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