LE TEMPS DE LA MEDECINE
L'UNITÉ D'INFORMATION et de soins des sourds (Uniss) de la Pitié-Salpêtrière est implantée au cœur du service de médecine interne du Pr Serge Herson. Une grande banderole « Accueil des sourds » indique, au premier regard, la pièce dans laquelle Carole Bruneau et Stéphanie Rameau reçoivent les patients, en langue des signes.
Plusieurs affiches de prévention spécifiques ( « Le sida touche aussi les sourds ») couvrent les murs, avec, au centre, les photos de chaque soignant du service. « Tout le personnel de l'équipe signe », explique le responsable médical, le Dr Jean-Luc Vourc'h, médecin généraliste. L'unité comprend quatre généralistes, un psychiatre, un ophtalmologue, une assistante sociale, une éducatrice médiatrice, une technicienne de laboratoire, une aide-soignante, un cadre supérieur, ainsi que trois interprètes vacataires et un expert linguistique. « Cela représente onze et demi équivalents temps-plein, précise le Dr Vourc'h, avec une file active de plusieurs milliers de patients par an. Notre priorité est d'intégrer des professionnels sourds : aujourd'hui, ils sont quatre dans l'équipe. C'est la condition sine qua non pour que l'unité fonctionne bien. » La participation de soignants sourds est le meilleur moyen de combattre ce que le Dr Alexis Karacostas, psychiatre de l'équipe, appelle « l'attitude philanthropique, une position pernicieuse et très ancrée. Il est nécessaire que les professionnels sourds et entendants recherchent ensemble à créer des ponts d'accessibilité au soin ».
La consultation médicale en langue des signes de la Pitié-Salpêtrière est la première à avoir été créée en France, en 1995, sous l'égide du Dr Jean Dagron. Délaissées par les campagnes de prévention et d'information sur le sida, les personnes sourdes subissent alors de plein fouet l'épidémie. « L'objet de cette consultation est resté le même aujourd'hui : garantir aux patients sourds le même accès aux soins que les patients entendants, dans la confidentialité, souligne le Dr Vourc'h. Avant, les personnes sourdes venaient consulter accompagnées de l'un de leurs proches, capables de transmettre l'information. Le secret médical ne pouvait pas être respecté. C'est un énorme progrès que de pouvoir accueillir des patients dans leur langue sans l'intervention de tiers. »
Treize pôles régionaux.
Actuellement, treize pôles régionaux fonctionnent dans toute la France. Chaque structure comprend au moins un médecin généraliste signeur, un soignant sourd médiateur qui assure la relation directe entre praticiens hospitaliers et patient, et un interprète. « L'existence de ces pôles est très satisfaisante et apporte beaucoup de confort aux personnes sourdes qui se trouvent souvent très isolées. Moins anxieux, un patient qui comprend se soigne mieux, assure le Dr Vourc'h. La grande majorité des patients sourds que nous recevons ont des pathologies lourdes et sont en manque d'informations. Dans la plupart des cas, il faut également gérer de nombreux problèmes sociaux. Notre objectif est d'être à l'écoute d'une population en grande difficulté. »
Chez certains sourds profonds, le message médical est d'autant plus difficile à faire passer que nombre d'entre eux ont des difficultés réelles à l'écrit.
Par ailleurs, certains concepts ou termes médicaux n'existent pas en langue des signes. Michel Girod, expert en linguistique, employé à mi-temps au sein de l'unité, travaille à la conception de néologismes de la langue des signes et à enrichir la langue. La simple traduction ne fonctionne pas et la chronologie dans la construction de la phrase a toute son importance. « L'information est très mal relayée auprès des sourds, explique Michel Girod, par l'intermédiaire de Fabien Lafond, l'un des interprètes en langue des signes du service. La campagne télévisée de prévention contre l'alcoolisme qui mettait en scène deux femmes (l'une se remaquillant tandis que l'autre vomit dans les toilettes) ne peut pas, par exemple, être compris par les sourds. Comment peut-on comprendre que ce n'est pas la femme qui vomit qui a un problème d'alcool, mais celle qui se remaquille? » Sans voix off, il est en effet très difficile de comprendre que la personne touchée par l'alcoolisme est celle qui supporte le mieux, par habitude, la prise d'alcool, et, donc, celle qui se remaquille.
Dire la santé en langue des signes représente bien plus qu'une traduction : cela nécessite un vrai dialogue. « S'occuper de patients sourds est chronophage, confirme le Dr Vourc'h. Près d'un tiers des patients viennent nous consulter pour se faire expliquer le déroulement d'une opération qu'il doive bientôt subir ou pour comprendre le résultat d'analyses. »
Grâce au pôle santé-surdité, les personnes sourdes ont accès, ainsi que tout autre patient, à tous les services de la Pitié-Salpêtrière et notamment à la maternité, où deux sages-femmes sont formées à la langue des signes. Un gage de qualité pour ce couple de sourds qui vient d'avoir un bébé, comme seize autres en 2004.
Comprendre et parler la langue des signes
La LSF (langue des signes française) n'est pas seulement un signe pour un mot. Elle utilise aussi la dactylologie (des lettres pour un mot) et la lecture labiale. Elle repose aussi beaucoup sur le langage mimique, qui permet d'exprimer par un geste défini les objets, les actions, les sentiments. Elle repose sur l'imitation (caractéristique d'un objet, d'une action), mais aussi sur la symbolisation, l'allusion et les conventions. L'expression du visage est très importante et fait partie intégrante de la LSF. Les mimiques du visage, des yeux, de la bouche, des joues, des sourcils, renseignent très souvent l'interlocuteur sur la vitesse de l'action, la taille d'un objet, ou la quantité. Il existe également une grammaire de la LSF.
L'International Visual Theatre (IVT) propose un enseignement méthodique et progressif de la LSF (7, cité Chaptal, 75009 Paris).
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