Le rapport de l'Académie de sciences (n° 16) sur les « Neurosciences et maladies du système nerveux », rendu public aujourd'hui, n'est pas le premier du genre à pointer le retard de la France concernant ce domaine de recherches.
« S'il est vrai que les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon par exemple ont pris le parti de développer vigoureusement ces nouvelles orientations, rien de tel ne s'est produit en France », commente Nicole Le Douarin, secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences. « Malgré les efforts de quelques groupes, ces nouvelles voies de recherche n'ont pas reçu le support qu'elles méritent, ajoute-t-elle. Il en a résulté un déclin des études consacrées aux grandes fonctions du cerveau, au codage et au traitement des informations sensorielles, à la mémoire, aux états de vigilance, aux mécanismes qui sous-tendent les actions coordonnées. »
Rédigé sous la direction du Pr Henri Korn, membre de l'Académie des sciences, professeur honoraire à l'Institut Pasteur et directeur de recherche émérite à l'INSERM, le rapport fait état des recherches en cours et à venir. Les auteurs proposent également, en conclusion, des recommandations claires et concises qui vont « au-delà des déclarations d'intention et des mesures partielles qui ont jalonné la décennie écoulée ».
Ces recommandations consistent en premier lieu à « rattraper le retard en physiologie fonctionnelle dans les neurosciences cognitives et computationnelles ». En matière d'enseignement, il faut assurer, selon les auteurs, une formation fondée sur le décloisonnement entre les différentes disciplines scientifiques. « Il convient de mettre en place, dans les universités comme dans les grandes écoles, des formations doctorales pluridisciplinaires mixtes, c'est-à-dire qui préfigurent une recherche associant toutes les sciences du vivant, celles de l'ingénieur (physique, chimie, mathématiques, informatique), ainsi que les sciences humaines telles que la linguistique et la neuropsychologie expérimentale », soulignent-ils. Parallèlement, ils suggèrent que la durée de financement des thèses soit prolongée.
Les organismes de recherche doivent également adapter leurs structures et équipements à ce caractère interdisciplinaire en créant notamment des « sections mixtes d'interface ». Une politique à long terme permettrait de financer le développement et l'achat d'équipements lourds et mi-lourds « qui dépassent les possibilités de laboratoires individuels », précisent les auteurs, en particulier pour l'imagerie cérébrale, le génotypage et la mise en place de réseaux électroniques de communication entre laboratoires et centres spécialisés. « Les efforts à fournir ne peuvent aboutir sans une concertation avec les industries concernées », estiment les académiciens. Ils proposent enfin que le ministère de la Recherche crée un comité scientifique d'experts internationaux qui aurait pour mission « d'identifier les laboratoires réellement à même de s'investir et de rattraper le retard de notre pays en neurosciences fonctionnelles et cognitives, et de sélectionner sans complaisance les meilleurs d'entre eux ». Sur avis de ce comité, des actions concertées incitatives (ACI) « de grande envergure » seraient mises en place sur les thèmes tels que couplage anatomie-fonction, interfaces neurosciences et robotique, systèmes complexes et fonctions cérébrales. Selon les auteurs du rapport, les projets et équipes qui favorisent l'étude du système nerveux chez l'animal entier doivent être privilégiés.
Symbiose entre cliniciens et chercheurs
Le deuxième chapitre des recommandations vise à « favoriser la symbiose entre cliniciens et chercheurs en neurosciences ». A ce propos, les auteurs du rapport estiment que la recherche clinique doit être « revitalisée par la reconnaissance de ces méthodologies dans le cadre des formations doctorales, des carrières hospitalière et de recherche ». « A l'inverse, poursuivent-ils, les étudiants en médecine doivent être au fait des méthodes et des différentes disciplines indispensables aux progrès des sciences du vivant. » Les académiciens évoquent la possibilité de généraliser le double doctorat et de favoriser les passerelles entre carrières médicales et scientifiques.
Concernant les recherches sur les pathologies du système nerveux, il faut explorer, selon eux, le champ des comportements anormaux et des maladies neurologiques « qui restent encore trop souvent du seul ressort de la clinique et des modes de diagnostic conventionnels ». Les recherches faisant intervenir des collaborations entre fondamentalistes et cliniciens, et mobilisant des outils d'investigation réservés jusqu'ici à l'étude des sujets normaux, doivent être considérées comme prioritaires.
Autre recommandation : promouvoir la création d'instituts en neurosciences qui disposeraient des moyens de recherche en génétique moléculaire, en imagerie, en électrophysiologie cellulaire et des systèmes ainsi qu'en pharmacologie. Ces instituts pourraient fonctionner soit sous forme de réseaux, soit être abrités dans des sites « où une masse critique importante de patients, de cliniciens et d'unités de recherche existent déjà, suggèrent les académiciens. Doivent être cités à titre d'exemples absolument prioritaires le groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière à Paris, l'hôpital neurologique de Lyon ou le CHU de Grenoble ».
La dernière mesure concerne l'information du grand public, travail qui doit être fait en collaboration avec les associations de patients, la Fondation pour la recherche médicale, et en collaboration avec les sociétés savantes comme la Société française de neurologie, l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine.
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