« Les relations entre l'assurance-maladie et l'Etat traversent une crise institutionnelle qui se double d'une crise financière » : partant de ce constat, Michel Lagrave, qui était directeur de la Sécurité sociale au début des années quatre-vingt-dix, a présenté hier devant l'Académie de médecine ses réflexions sur l'importance d'une réforme qui permette un meilleur fonctionnement du système actuel, tout en assurant une clarification des rôles respectifs des uns et des autres, et évite une confusion des genres qui a conduit à l'imbroglio actuel.
Michel Lagrave n'y va pas par quatre chemins : tout ce qui a été fait jusqu'à présent, ou presque, a échoué. La démocratie sociale, c'est-à-dire la gestion par les partenaires sociaux, voulue par la grande réforme de 1945, est un échec ; et l'autonomie de gestion accordée par les ordonnances de 1967 à chaque branche de la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille) n'a pas eu plus de succès, bien au contraire. « Les ordonnances de 1967, explique Michel Lagrave, qui voulaient consacrer une gestion autonome de chaque branche, l'Etat se tenant à distance, ont abouti à l'inverse. » Les partenaires sociaux n'ont pas été en mesure de prendre ensemble la responsabilité de gestion, pas plus que d'assurer l'équilibre financier qui était attendu de cette réforme. Conséquence : l'administration « s'est introduite par défaut, pour gérer le système ». Dès lors, la crise était inévitable et a abouti « à la décision du Medef de ne plus siéger dans les conseils d'administration. Le paritarisme a volé en éclats ».
La crise financière du système actuel est parfaitement illustrée, selon Michel Lagrave, par le système de l'Objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM), puisque « il y a une dérive permanente des dépenses d'assurance-maladie par rapport à l'objectif affiché ». Un ONDAM qui est « détourné » de sa signification première : en effet, « la coloration financière l'emporte sur la nature sanitaire ».
Dès lors, quelles mesures faut-il encourager ? Pour Michel Lagrave, la mise en concurrence des caisses avec les assureurs privés n'est pas une excellente idée. Elle reviendrait, dit-il, « à écarter à la fois la démocratie sociale et la démocratie politique (gestion par les élus et le gouvernement). Elle le ferait sans profits ».
Dans la même ligne, « substituer une pseudodémocratie politique à la démocratie sociale » n'aurait pas de grands résultats. Conséquence : « Les deux formes de démocratie sont légitimes, mais elles sont juxtaposées, parfois conflictuelles. Il faut les accorder par une nouvelle initiative, la démocratie contractuelle ». Système que l'orateur, cependant, ne définit pas davantage.
Attention à la régionalisation
Si les grandes décisions concernant la politique de santé doivent être prises au niveau national pour empêcher les inégalités possibles, il ne faut pas écarter complètement toute idée de régionalisation. Mais il faut rester prudent, car « il ne s'agit pas de promouvoir vingt-six politiques de santé qui briseraient d'ailleurs l'assurance-maladie unitaire, et un budget régional de santé n'aurait pas de sens ». En revanche, préconise Michel Lagrave, « une fonction consultative pourrait être dévolue à des conseils régionaux de santé, avec la participation de partenaires conventionnels, des services déconcentrés de l'Etat, mais aussi des élus locaux ». Toutefois, « il serait dangereux d'aller plus loin en termes de régionalisation ».
Enfin, et ce n'est sans doute pas la moindre des propositions de l'ancien directeur de la Sécu, il faudrait mettre en place une « magistrature des comptes », qui prenne en considération les retombées économiques de l'assurance-maladie, « en termes d'emplois, en termes industriels, en termes de recherche, de formation et de prévention des risques ».
Cet élargissement du champ des comptes nécessiterait, dit-il, « la concertation entre les services de l'Etat, en particulier la direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (DREES) au ministère de la Santé, les professionnels de santé et les partenaires sociaux ». Une réforme particulièrement importante pour l'auteur car il y aurait là, dit-il, une nécessité de rencontre entre les acteurs.
Encore faudrait-il que les pouvoirs publics prennent conscience de l'importance des tâches à accomplir. C'est pourquoi Michel Lagrave leur propose « de doubler la loi de programmation quinquennale de santé publique annoncée pour ce printemps d'une démarche du même ordre pour l'assurance-maladie. La clarification du rôle de chaque acteur y gagnerait ».
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