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LA BIPÉDIE a permis l'encéphalisation, la descente du larynx puis le langage articulé et donc la création de la voix il y a près de cinq millions d'années, explique Jean Abitbol. Avant de disposer de notre voix d'aujourd'hui, de nombreux changements ont dû avoir lieu. La base du crâne d' Homo erectus (1 à 0,4 million d'années) s'est posée sur la colonne cervicale à 90° et sa cavité bucco-pharyngée s'est adaptée au langage articulé. Il avait néanmoins un langage et un verbe succincts, comme en témoigne la taille de son cerveau (environ 900 g). Homo sapiens (0,3 million d'années à nos jours) était, lui, nettement plus disert, son néocortex beaucoup plus développé et son cerveau plus lourd (1 400 g).
Avec l'accroissement de sa longévité, l'homme a peu à peu développé sa voix et son intelligence, donc sa pensée. L'intelligence, la faculté d'adaptation, la vocation sont en effet les éléments indispensables de l'évolution du langage, explique Jean Abitbol dans la première partie de son ouvrage.
Retracer l'odyssée de la voix à travers les âges n'est pas chose facile car il n'existe pas à proprement parler de voix fossile, phénomène impalpable par nature. De nombreux témoignages indirects sont néanmoins à notre disposition, qu'il s'agisse de l'empreinte des sillons sur la face cachée des crânes anciens, des caractéristiques des cartilages hyoïdes, des mandibules ou encore du degré d'inclinaison des articulations crico-aryténoidiennes.
Du cri néo-natal à la colorature.
C'est indiscutable, la voix et le langage ont été les gages indispensables de la survie de l'homme et le distinguent radicalement des autres espèces. S'il existe peut-être un gène propre au langage, le FOXP2, présent sur les chromosomes 7, gène expliquant le passage rapide entre l' Homo habilis, qui vivait dans les arbres, et l' Homo ergaster, capable de courir, il n'en demeure pas moins que l'apprentissage de la voix et du langage doit se faire très tôt dans la vie. En témoignent les histoires de Victor, l'enfant sauvage de la forêt aveyronnaise immortalisé par Truffaut, comme celles des enfants loups indiennes Amala et Kamala, qui n'acquerront jamais un langage élaboré après leur retour à la civilisation et mourront d'inadaptation.
La voix ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. Elle n'existe d'ailleurs que par la rencontre d'une autre voix. Même le soliloqueur a un jour écouté son semblable ! Instrument du dialogue et de la communication, la voix a d'ailleurs un pouvoir incontestable de séduction, sans qu'il n'y ait, et peut-être même parce qu'il n'y a pas de voix parfaite et que c'est de « l'imperfection vocale que naissent souvent le charme, la beauté et l'attraction d'une voix ». « Dire d'un violon, c'est un stradivarius ne signifie pas grand-chose si celui qui l'emploie n'est pas un virtuose comme Yehudi Menuhin ou Isaac Stern », souligne J. Abitbol. Il y a une maturité pour la séduction vocale comme il existe une maturité sexuelle, des cicatrices et des rides de la voix comme il y a des blessures de l'âme ou des marques du temps qui passe sur la peau.
Isomorphisme entre voix et émotion.
« La voix humaine est sans doute une synthèse instrumentale, la rencontre entre le rationnel et le chaos créant l'harmonie », explique le spécialiste. Pour analyser les modifications hormonales de la voix à l'adolescence, à la ménopause ou à l'andropause, les techniques ou les altérations de la maîtrise de la voix parlée, du discours ou du chant, le pouvoir affectif ou émotionnel de la voix, cet ORL et phoniatre talentueux expose avec clarté les données les plus récentes de la physiologie et de la pathologie. La voix s'éclaire au fil des pages et l'on comprend, de multiples exemples vocaux de patients ou de personnages publiques à l'appui, à quel point la manière dont le corps bouge, respire et celle dont résonne la voix sont étroitement liées et à quel point aussi la qualité de l'émission vocale est dépendant de l'intime et de l'autonomie de chacun. Les imitateurs existent mais chaque voix est unique.
Cette Odyssée de la voix consacre une grande partie au chant et aux chanteurs, à la complexité de l'alchimie du chant en général, et du chant lyrique en particulier, mettant en jeu à la fois un système mécanique, émotionnel et cérébral, domaine que l'auteur connaît, semble-t-il, sur le bout des doigts. Il évoque aussi avec délectation d'autres prouesses vocales qui fascineront les curieux : le chapitre consacré aux imitateurs, autres contorsionnistes de la voix, nous apprend ainsi que ces artistes doivent leurs prouesses à un larynx asymétrique « qui louche », comme en témoignent les observations par vidéo-endoscopie nasale. Néanmoins, précise J. Abitbol, ces dons acoustiques ne sont rien sans un travail acharné des artistes qui parviennent à imiter leurs personnages à la fois dans le mouvement de leur larynx, de leur musculature laryngo-pharyngée et ses caisses de résonance, de leur mâchoire, de leurs lèvres, de leurs mimiques, du phrasé et du rythme de la voix pour réussir cette prouesse vocale qui associe l'affectif et l'art vocal. L'observation de ces contorsionnistes de la voix sert donc parfaitement le propos de l'auteur : la voix est un tout qu'il faut croire sur paroles.
« L'Odyssée de la voix », Jean Abitbol, Robert Laffont, 512 pages, 23 euros.
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