D'ABORD, COLIN POWELL ne part pas tout de suite : il s'apprête à partir pour le Proche-Orient, voyage que la mort d'Arafat rend important. Ensuite, M. Powell a manifesté son désir de prendre sa retraite à plusieurs reprises. Ce n'est pas M. Bush qui le chasse. Et il a d'autant moins de raisons de le faire que M. Powell, ancien chef d'Etat-major des armées, a été à son égard d'une loyauté absolue, allant même jusqu'à se ridiculiser quand il a défendu avec des preuves très discutables l'hypothèse d'une présence des armes de destruction massive en Irak.
Enfin, Colin Powell n'a jamais eu auprès de M. Bush l'influence qu'il méritait en tant que stratège de la première guerre du Golfe.
Un homme discipliné.
Alors qu'en 1991 il avait préconisé et obtenu la constitution d'un corps expéditionnaire colossal, c'est la thèse de Donald Rumsfeld qui a prévalu en 2003 : une force représentant moins d'un tiers des troupes rassemblées douze ans plus tôt, mais dotées d'une puissance de feu énorme et d'une mobilité extrême. La suite a démontré que la stratégie de Rumsfeld avait permis de gagner la bataille, mais pas d'occuper le terrain et de garantir la sécurité en Irak.
Dans les propos qu'il a tenus en public, Powell a toujours défendu l'option Rumsfeld, en affirmant même qu'en tant que militaire il avait contribué à son énoncé. Pure discipline. Il pensait le contraire. Quand il s'est dressé contre les néoconservateurs de la Défense, on lui a demandé de se taire ; quand les événements en Irak ont tourné mal, c'est Powell qu'on a envoyé chez les Turcs et les Européens pour qu'ils facilitent la tâche de l'armée américaine. C'est un excellent diplomate, certainement un modéré et même un humaniste qui défend âprement la cause des réfugiés du Darfour. Mais il n'a jamais pesé sur les décisions importantes de Bush.
DÉVOUÉE À BUSH, CONDI RICE POURRAIT NÉANMOINS CONTRIBUER À UN AGGIORNAMENTO
Avec Condoleeza Rice, c'est tout autre chose. Spécialiste des affaires de l'Europe orientale (elle parle le russe couramment), elle n'a pas de grandes connaissances sur le monde arabe. Quand Sandy Berger, le conseiller à la Sécurité nationale de Bill Clinton, lui a passé le relais, il lui a dit clairement que le plus grand danger à venir était le terrorisme. Elle n'en a tenu aucun compte. Non qu'elle soit bornée, mais l'administration Bush est arrivée au pouvoir en 2001 avec une idéologie tellement enracinée qu'elle n'a pas retenu ce qui encombrait ses plans fiévreux, comme le bouclier antimissiles et, probablement déjà, son projet d'attaquer l'Irak.
La recherche d'un consensus.
Hautement cultivée, universitaire de talent, Mme Rice est moins la dépositaire du néoconservatisme que la personne de confiance chargée de le mettre en pratique. Pendant quatre ans, elle a conçu son rôle personnel comme celui d'une médiatrice entre les factions de l'administration : loin de proposer des orientations, elle s'est efforcée d'obtenir un consensus autour de celles que M. Bush, très influencé, surtout jusqu'en 2003, par Dick Cheney et Donald Rumsfeld, a adoptées.
Elle a fait le parcours de Henry Kissinger (conseiller à la Sécurité, puis secrétaire d'Etat), mais elle n'en pas du tout l'autonomie. C'est Kissinger qui a fait la diplomatie de Richard Nixon, Mme Rice fera celle de George W. Bush. D'autant qu'elle n'est pas seulement proche du président, elle fait littéralement partie de sa famille et bénéficie d'un accès exceptionnel au bureau ovale. Mais W. aime surtout les gens qui sont de son avis, pas ceux qui lui présentent des dossiers compliqués et l'embrouillent dans un exposé subtil pour faire passer leur propre idée.
Ce qui n'enlève rien ni à l'intelligence, ni à la culture ni au talent de Mme Rice, personne accomplie qui saura enrober des idées agressives dans le langage diplomatique. Mais elle comprendra encore moins que son prédécesseur les subtilités de la politique européenne et, comme elle n'est pas portée à la plaisanterie, elle dira leur fait à ses interlocuteurs sans trop de précautions.
Elle n'arrive pas au département d'Etat avec un projet personnel. Et comme elle préfère être appréciée plutôt que de prendre des initiatives spectaculaires, elle exprimera sur toutes choses, l'Irak, le Proche-Orient, les relations avec l'Europe et avec la Chine, le point de vue de son patron.
Si Bush change...
Il ne faut pas non plus la sous-estimer : après Colin Powell, elle est la mieux placée pour tirer les leçons des divers échecs essuyés par l'administration Bush : le bourbier irakien, la perte de prestige des Etats-Unis, la nécessité de mettre en œuvre un programme cohérent et efficace contre le terrorisme et l'aggiornamento diplomatique et sécuritaire qu'exigent les nouvelles menaces. Si, enfin, M. Bush commence à évoluer, elle l'encouragera dans une voie nouvelle.
Drôle de prénom
D'où Condoleeza Rice, surnommée Condi, tire-t-elle son prénom ? De sa mère, qui lui a enseigné le piano ; avec succès, puisqu'elle peut donner des concerts publics. Mme Rice indiquait fréquemment à sa fille le tempo de la musique qu'elle jouait : « Con dolcezza, con dolcezza ! » (Avec douceur). Prononcée avec l'accent américain, l'expression est devenue ce qui caractérisait le mieux la jeune pianiste. D'où le prénom le plus étrange qu'ait pu avoir un secrétaire d'Etat. Il est vrai que W. l'appelle Condi, comme tout le monde.
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