La voiture, initialement conçue pour une poignée d'ingénieurs et de sportifs, est-elle adaptée au conducteur lambda ? Un volant, des pédales, plus quelques autres accessoires, et on dit que tout le monde peut s'en servir. Or, « scientifiquement, rien ne permet d'affirmer qu'une voiture est adaptée à la grande majorité des gens », estime Jean L'Hoste, de l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS). Aucune des caractéristiques naturelles de l'homme, telles que le vieillissement, n'a été prise en considération par les ingénieurs, note-t-il.
Contrairement à ce qui se passe dans le milieu professionnel, où les outils, machines et postes de travail sont adaptés à l'usager, l'automobiliste est « contraint de se débrouiller avec un véhicule pas fait pour lui, ou fort mal ». Certes, au niveau de l'ergonomie classique, le tableau de bord, avec la lisibilité des cadrans et l'accessibilité des commandes, est au point, mais, « globalement, la conception n'est pas pensée pour un acteur humain ». Pourtant, « on sait que 90 ou 95 % des accidents sont dus à des défaillances humaines », souligne le spécialiste. Quand il y a un accident du travail dans un atelier, y compris dans l'industrie automobile, on essaie de voir comment modifier la machine qui a coupé le bras de l'ouvrier. En voiture, tout sinistre est de la faute exclusive du conducteur. Dès lors que les constructeurs ignorent les caractéristiques des comportements humains, « on est confronté à des problèmes énormes qu'onn'avait pas soupçonnés au départ », insiste Jean L'Hoste.
Le facteur humain ne fait pas vendre
Dans les faits, « on ne consacre que de très faibles moyens à l'étude du facteur humain, par rapport aux efforts fournis sur la motorisation ou sur le freinage et à la protection passive de l'occupant (airbag, ceinture de sécurité, résistance au choc). D'ailleurs, il n'existe pratiquement pas chez les constructeurs automobiles de service à cet effet, ou alors c'est marginal, ce qui est un paradoxe. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas rentable, le fabricant ne vendra pas plus de voitures », commente Jean L'Hoste.
Renault dispose d'un centre de recherche scientifique et technique à Guyancourt (Yvelines) et à Aubevoye (Eure), où des tests d'hypovigilance sont organisés, entre autres, avec le concours d'un neurophysiologiste, en vue de mettre au point des équipements de sécurité.
Mais si on sait, depuis longtemps déjà, que plus on augmente la vitesse, plus on multiplie les problèmes, en particulier les difficultés de décision dans le cadre « la pression temporelle », les compteurs de voiture affichent toujours des chiffres vertigineux. A l'inverse, note Jean L'Hoste, « la connaissance du champ de vision à 100 ou 150 km/h est limitée ».
Vers un procès des « voitures folles »
Face à l' « inadaptation (quasiment) délibérée de l'automobile à l'homme », le Pr Claude Got bondit d'indignation. La situation est tout aussi « schizophrénique » que pour le tabac. Les autorités de l'Etat qualifient de mortifère la cigarette, et de meurtrière, la vitesse, mais, dans les deux cas, elles s'en accommodent en encaissant 76 centimes sur 1 euro de tabac vendu et en donnant le feu vert à des immatriculations de véhicules qui peuvent rouler à 250 km/h ou plus, alors qu'il est interdit de dépasser le 130 sur autoroute.
Aussi, puisque les constructeurs « continuent à produire, en toute impunité, des engins inutilement toujours plus puissants, rapides et lourds (dans un choc frontal entre un 4 X 4 de 200 CV et 1,8 tonne et un véhicule léger, la mort est garantie pour les passagers de la voiture), inadaptés aux comportements humains et aux exigences du code de la route », le Pr Claude Got attend beaucoup d'un éventuel futur procès de ce qu'il appelle les « voitures folles ».
« Rien à voir avec le sang contaminé, prévient-il. La traçabilité est parfaite. » Premier point : BMW, Audit, Mercedes et Volkswagen, suivis par d'autres constructeurs, « ont construit leur richesse sur le haut de gamme inutilement puissant, rapide et lourd ».
Deuxième point : en juin 1999, la France a déposé un « projet de norme de limitation de vitesse à la construction » (limiteur de vitesse automatique à 130 km/h sur autoroute, 110 sur 4 voies, 90 sur route et 50 en ville) à l'ONU, qu'elle a retiré trois mois plus tard. Comme dans l'affaire de la vache folle, où Paris a pris une mesure unilatérale d'embargo sur la viande britannique, pour préserver la sécurité sanitaire, conformément au traité de l'Union, la France avait les mêmes moyens d'agir, « au nom de la sécurité routière », plaide le Pr Claude Got.
Troisième et dernier point : le Livre blanc de la Sécurité routière de 1988 (1) rapportait une statistique des assurances selon laquelle, au début de la décennie 1980, il y avait dix-huit fois plus de dommages corporels chez les tiers causés par des véhicules puissants que par de petites cylindrées.
2011-2013 : automatisation du contrôle de la vitesse
Il appartiendra au juge chargé d'instruire la ou les premières plaintes contre X, déposées par un ou des ayants droit de victimes d'accident de la route, tuées à grande vitesse (ce qui ne saurait tarder, annonce le Pr Claude Got), de montrer le degré d'implication des administratifs, des constructeurs et des politiques « à partir d'une faute caractérisée ». Quelqu'un sait qu'il fait courir des risques, en prenant ou en ne prenant pas une décision, et, pourtant, il ne fait rien pour qu'il en soit autrement : tel est le fondement de la « faute caractérisée », dans laquelle Pr Claude Got voit un prêt-à-porter juridique pour les « voitures folles ». Et, précise-t-il, il n'est pas question pour les avocats, qui fourbissent déjà leurs armes, de faire l'erreur de s'en remettre tout suite à la Cour de justice de la République (des ministres en exercice étant visés), « car les débats contradictoires n'y sont pas autorisés ».
Dans l'attente d'un éventuel procès, la limitation du contrôle de la vitesse à la construction a refait surface. Le comité interministériel sur la sécurité routière du 18 décembre s'est prononcé en sa faveur. Mais, quels que soient les coups d'accélération qui lui seront donnés, à terme, l'automatisation du contrôle de la vitesse sera vendue clé en main. Le système existe dans le haut de gamme. Il s'agit de la « cartographie embarquée », qui combine un affichage sur écran et le positionnement du véhicule par satellite (GPS). Elle sera généralisée dans huit à dix ans.
* Document, auquel a participé le Pr Claude Got, remis à Michel Rocard, chef du gouvernement. Son rapporteur était Pierre Graff, actuel directeur de cabinet de Gilles de Robien, ministre des Transports.
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