On pourrait dire de Jean-Pierre Raffarin qu'il a choisi la voie la plus difficile : alors même que l'INSEE annonce une progression du chômage et un taux de croissance de 0,8 % seulement en 2003, le Premier ministre affirme qu'il poursuivra la baisse des impôts.
Il le dit et le fait dire par ses ministres : Jean-François Mattei exclut, avec toute la vigueur requise, une augmentation des prélèvements obligatoires pour rétablir les comptes de l'assurance-maladie : « On nous a élus, dit-il, pour les réduire. »
Rêve et réalité
Mais comment vont-ils faire ? Même la réforme des retraites, qui n'aura pas été facile à imposer aux Français, ne finance qu'un tiers du déficit prévu à l'horizon 2020. Le Sénat publie un rapport alarmant selon lequel les dépenses remboursées ne peuvent pas continuer à augmenter de 6 à 7 % par an, comme c'est le cas actuellement, parce qu'une telle augmentation implique une part croissante du produit intérieur brut pour le seul financement de la santé.
Il n'y a en vérité qu'un moyen de rétablir les équilibres fondamentaux : le retour au plein-emploi. Mais il est aussi difficile à atteindre qu'est consternante la pente des déficits. C'est une solution à la fois rêvée et irréaliste.
Le gouvernement fait de gros efforts pour geler les dépenses publiques, à tel point que deux ministres, et pas des moindres, François Fillon et Jean-François Mattei, jurent que les économies que M. Raffarin leur demande les place dans une situation intolérable. L'exercice de la réduction budgétaire est le plus malaisé qui soit. Déjà, il est évident que la recherche est fortement pénalisée dans un pays qui prétend jouer dans la cour des grands, mais fait des économies sur l'avenir de ses technologies de pointe et de ses produits industriels innovants. Le manque d'équipements hospitaliers capables de dépister des maladies graves devient criant. La pression sur les salaires et les bénéfices sociaux des personnels publics est forte.
M. Raffarin est néanmoins le manager le plus crédible : on ne peut réduire les prélèvements obligatoires que si, en même temps, on réduit le train de l'Etat. Nul doute que, si ce gouvernement parvient à durer, il diminuera les effectifs de la fonction publique ; nul doute qu'il s'attaquera aux régimes spéciaux de retraites quand le contexte politique le lui permettra ; nul doute qu'il saura aussi déplacer des ressources pour qu'elle permettent des créations d'emplois au lieu de financer des rentes de situation. Aussi le Premier ministre se situe-t-il dans la durée. En l'absence de croissance, il jouera au plus serré ; dès qu'elle reviendra (peut-être l'an prochain), il sera beaucoup plus à l'aise pour manuvrer. En tout cas, c'est ce qu'il laisse entendre, et on reconnaîtra qu'il ne se laisse impressionner ni par les difficultés de la tâche, ni par le mécontentement d'une population qui ignore à peu près tout de l'économie, pour ne pas dire de l'arithmétique, ni par une opposition syndicale de type idéologique.
L'affrontement avec les syndicats
S'il a pu s'assurer la coopération de la CFDT - et, pour être précis, plus de celle de François Chérèque que de sa base militante -, il est confronté à Force ouvrière, qui n'a jamais pu ni voulu se débarrasser de son inspiration trotskiste, et à la CGT de Bernard Thibault, qui promet une rentrée mouvementée sur un sujet que d'autres croient enterré : les retraites, premier grand chapitre des réformes de la droite. Ce qui veut dire qu'avant même d'affronter le chantier de la santé, puis la réforme de l'Etat (et plus particulièrement celle des impôts), M. Raffarin n'est pas certain que les braises encore fumantes de la retraite ne vont pas déclencher de nouveaux incendies en automne. Dans ces conditions, aller de l'avant alors que la base arrière n'est pas sécurisée demandera beaucoup de témérité.
Nous n'avons jamais pensé que les critères de Maastricht constituaient, pour la France, un obstacle infranchissable. Notre pays n'est pas plus mal loti que le reste de l'Europe continentale, et nos déficits sont inférieurs à ceux de l'Allemagne. La Commission européenne doit s'orienter vers une forme de négligence bénigne : le ralentissement de la croissance doit autoriser les gouvernements des Quinze à creuser d'un demi-point ou d'un point supplémentaire le déficit public, dès lors que tout le monde souffre de la crise de la même manière.
En revanche, aucun des pays européens pris individuellement ne peut se permettre de s'endetter davantage, car le financement de la dette est prélevé sur la richesse nationale au détriment des secteurs créateurs d'emplois. Et personne, pas plus un Etat qu'un foyer, ne peut vivre durablement au-dessus de ses moyens : il y arrive inévitablement un jour où l'un et l'autre doivent rembourser ce qu'ils ont emprunté.
A plusieurs reprises, l'opposition a accusé le gouvernement de s'engager dans la voie de la rigueur, appelée aussi austérité, mais, pour le moment, M. Raffarin n'a pas été pris en défaut : les impôts ont baissé, et les prélèvements sociaux n'ont pas augmenté. Là où il y a rigueur, c'est dans les réformes, qui exigent que les Français travaillent plus longtemps, augmentent leur productivité, ce dont ils sont fort capables, comme l'a prouvé l'expérience de la semaine des 35 heures, et gagnent des parts de marché pour que l'embauche devienne possible.
Question de chance
Cependant, le gouvernement a commencé à abattre quelques contre-vérités : ce n'est pas en réduisant le temps de travail qu'on relance le recrutement ; ce n'est pas en augmentant les dépenses collectives qu'on favorise les créations d'entreprise ; ce n'est pas dans le confort de l'emploi permanent et dans l'immobilité géographique que la France créera des richesses, mais dans la mobilité et la capacité à changer de travail. Plus de risques, certes, mais aussi plus d'imprévus et donc plus de chances accordées à l'innovation, à la faculté de s'adapter et à ne pas s'enfermer dans un avenir tout tracé.
Nous sortirons tôt ou tard du marasme actuel. Mais quand l'occasion nous sera offerte de conquérir des marchés, donc des emplois, il faut que nous y soyons préparés. Le gouvernement, scotché par la crise économique, essaie de voir plus loin. Avant de remettre la machine en route, il doit payer les factures, c'est-à-dire éponger les dettes. On saura assez vite s'il est capable de manuvrer entre les écueils des déficits, s'il peut relever le défi d'un apurement comptable sans augmenter les prélèvements, et, en définitive, s'il a ou non de la chance.
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