Cinéma
L'éléphant, c'est celui de la parabole bouddhiste : des aveugles examinent les parties d'un éléphant, qui une oreille, qui une patte, d'autres la queue, la trompe, une défense... ; et chacun croit saisir la nature de ce qu'il a touché, un éventail, un arbre, une corde, un serpent, une lance. « Elephant », c'est aussi le titre d'un documentaire d'Alan Clarke sur l'Irlande du nord, en 1989, montrant la violence sectaire comme une marche acharnée et anonyme de meurtriers (l'éléphant est l'image ironique du nez au milieu de la figure, ce que l'on ne voit pas).
Les parties du tout, ce sont les individus qui composent cette jeunesse d'où surgit parfois une violence incompréhensible. Frappé par les massacres qui ensanglantèrent les écoles américaines - huit en tout, entre 1997 et 1999, dont celui de Columbine évoqué par Michael Moore dans son dernier film - le cinéaste de « My Own Private Idaho » et « Will Hunting » a voulu non pas les expliquer mais essayer « de rendre l'état d'esprit des jeunes qui allaient à l'école à cette époque ».
Il va donc mettre le spectateur, jeune ou vieux, de plain pied avec ses lycéens, d'ailleurs choisis parmi des adolescents du cru (Portland, Oregon, la ville où vit le réalisateur et où le film a été tourné), chacun ayant apporté un peu de ce qu'il est à son personnage. Voici John, dont le père est encore ivre ; Elias, qui rêve de devenir photographe ; Nat, le joueur de football américain ; Michelle, au physique ingrat et dont les autres se moquent ; Brittany, Jordan et Nicole, les amies qui aiment le shopping... Nous ne saurons d'eux rien d'autre que ce que nous voyons du début de leur journée dans ce lycée comme les autres. Ils marchent dans les larges couloirs, filmés de dos, souvent seuls, on ne sait trop où ils vont. Présentant ses personnages les uns après les autres, Van Sant filme plusieurs fois leurs rencontres, sous des angles différents. Le récit se déroule sur seulement quelques heures mais sans continuité temporelle : on ne revient pas en arrière, on est dans plusieurs temps à la fois.
Il n'y a quasiment pas d'arrière plan social ou familial, très peu de dialogues, seulement des gestes, des façons d'être. Et quand l'un des deux tueurs joue « la Lettre à Elise » ou dit « Je n'ai jamais vu de jour si immonde et si beau », on est presqu'étonné de cette sorte de justification.
« Elephant » est un film frustrant puisqu'on voudrait comprendre pourquoi ceux-là ont tiré, pourquoi ils ont tué les uns et épargné les autres. Il est d'autant plus angoissant dans son refus de convoquer le passé ou la société pour expliquer la violence. Et s'il n'y avait justement pas d'explication ?
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