> Idées
IL A COMMENCÉ par alimenter les rêves d'enfance, quand Perrault remplaçait les jeux électroniques. Mais sans « la Belle au bois dormant » ni « Barbe bleue », un château est avant tout cette masse imposante, souvent juchée au-dessus d'un village qu'il impressionne, et qui procure à une caste aristocratique tout une série d'avantages.
D'abord capital économique certain, le château constitue aussi une jouissance d'existence. On la réalise en s'y mouvant avec grâce et élégance. Du haut des tours, on mesure doublement la supériorité de sa naissance. Plus concrètement, on en tire de multiples ressources : visites guidées, fêtes diverses, reconstitutions historiques prestigieuses (suivez leur regard), tournages de films. Il est un important capital culturel et un lieu de sociabilité, et par conséquent, il joint à la fertilité de ses ressources son importance de capital symbolique : beauté, prestige social, domination.
Mais les châtelain(e)s intéressent tout autant les auteurs, attachés qu'ils sont à désigner et décrire les structures sociales et leurs agents. Un château classé désigne une personne de classe, les propriétaires de telles maisons ne peuvent être ordinaires et mille mailles tissent d'harmonie le lien entre les lieux et l'habitant. Le couple de sociologues en donne des exemples souvent concentrés d'ironie. Ainsi de la photographie associant famille bien née et château. Tout y est mise en scène et codifications : veste dans les couleurs chasseresses, pose hiératique des parents, présentation de sage photo de classe pour les enfants. Le corps doit être à l'image même de la demeure : droit mais harmonieux. Il faut, disent excellemment les auteurs, « montrer à travers la posture et le maintien les qualités, supposées innées, dont le sort vous a gratifié, et faire oublier qu'elles sont le fruit d'une éducation de chaque instant ».
Le patriarche fondateur.
Symbole de réussite sociale, les châteaux le doivent avant tout à une lignée. Ils réactivent le mythe d'une naissance prestigieuse. C'est pour cela que toutes les générations doivent en faire partie. Là où Monsieur Tout-le-Monde se perd en remontant dans sa terne généalogie, les dominants, issus d'Ancien Régime ou de noblesses d'argent, remontent à un ancêtre unique, le patriarche fondateur. Ceci nous vaut un regard aigu sur les Wendel ou les Rothschild. Quant aux enfants, ils assurent avec fierté la continuité de cette lignée, l'excellence du sang, d'où l'intérêt dans ces familles de l'élevage et de la sélection : pur-sangs, variétés de roses ou vignobles de renoms.
Mais le temps se gâte. Tous les occupants de ces lieux sublimes n'ont pas les deniers pour maintenir échauguettes et machicoulis. C'est parfois le seigneur des lieux qui doit assurer lui-même les visites et, pour éviter que certains châteaux ne redeviennent sable, on doit vendre à des parvenus qui jusqu'à présent n'en faisaient qu'en Espagne.
C'est ici que le livre, qui se bornait à expliciter une réalité et une symbolique, devient une réelle place-forte théorique. Il s'agit de lire le château dans les yeux des autres. D'abord les habitants du villages - nous allions écrire les serfs - pour qui Monsieur le Marquis a toujours été si bon. Le château fait partie de la mémoire du village, ses aménagements, son occupation pendant la guerre ou ses fêtes sont des marqueurs de mémoire sociale. Le château de Biron, dans le Périgord, fut la propriété de la famille Gontaut-Biron du XIIe siècle à 1938. Les habitants en sont imprégnés, la demeure est une partie de leurs propres ancêtres et on voit de nombreux cas de rejet lorsque les châteaux ont trop de propriétaires successifs ou sont achetés par des humbles qui les retapent. Les auteurs citent même des cas où le maire décrète un parking interdit autour d'un château manquant de belle branche !
Et puis, il y a la longue cohorte de toutes les célébrités (Luc Besson ou Mike Jagger, entre autres) que le sort rend peu à peu plus riches que certains châtelains et qui témoignent de la force du rêve mythique.
En 1837, à l'initiative de Prosper Mérimée, est créée une commission des Monuments historiques. Il s'agit souvent de restaurer des châteaux mis à mal par les fureurs révolutionnaires (toujours la symbolique). L'Etat apporte son aide et introduit l'idée de classement ou de déclassement. Une partie non négligeable du livre met en scène la partie de bras-de-fer entre l'Etat et des châtelains qui utilisent le chantage au patrimoine. Il en résulte d'alléchantes subventions et des avantages fiscaux, à la fois pour les propriétaires et pour cette caste privilégiée que sont les architectes en chef des monuments historiques (Acmh).
Le détail de ces affrontements feutrés est parfois peu attrayant pour le lecteur, qui ne doit rien espérer de ce côté-là. En pauvre, château se dit résidence secondaire.
« Châteaux et châtelains », de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Anne Carrière, 270 pages, 19 euros.
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