V RAI ou faux départ des conseils d'administration de la Sécurité sociale, la démarche du patronat ne peut pas être prise à la légère, comme le font certains syndicats qui affirment qu'on peut se passer de lui ou la plupart des Français, qui ne comprennent rien à l'affaire.
Le Medef se serait déjugé si, après avoir menacé cent fois de s'en aller, il était encore resté mardi dernier, après le refus du Premier ministre de renoncer à financer partiellement les 35 heures avec les fonds de la Sécurité sociale. Certes, il laisse la porte entr'ouverte pour un éventuel retour dans une Sécu réformée, mais improbable, et les circonstances, c'est-à-dire la fermeté du gouvernement, le forceront peut-être, dans quelques mois, à confirmer son geste.
Des contradictions
La conduite du Medef n'est pas toujours d'une très grande limpidité. Il lui est déjà arrivé d'accepter sans broncher des ponctions de l'Etat dans le budget de la protection sociale ; il a choisi de partir alors même qu'il s'apprêtait, dans le cadre de la « refondation sociale », à ouvrir le vaste chantier de l'assurance-maladie ; il défend officiellement le paritarisme dans la gestion des organismes sociaux, mais il lui porte l'estocade ; il tente de lancer les réformes devant lesquelles le pouvoir hésite encore, mais il le fait avec un acharnement qui ne tient pas compte du contexte politique : qu'il le veuille ou non, la majorité actuelle est de gauche et les patrons ne peuvent pas remplacer les élus ; enfin, de même que les réformes envisagées par le pouvoir politique aboutissent à renforcer le rôle de l'Etat alors que, dans tous les pays industrialisés, on s'efforce de le réduire, les idées - intéressantes - du patronat vont vers davantage de libéralisme économique dans un pays qui continue de s'en méfier.
Et ce n'est pas tout : conscient de la dérive des dépenses de santé, le patronat n'a été, ces dernières années, ni l'ami des médecins libéraux ni celui de l'industrie pharmaceutique, pourtant représentée au Medef. Présentés sous la forme d'une vision générale, ses concepts visent, en définitive, à limiter les dépenses de santé, ou le montant des retraites, principalement pour diminuer les cotisations patronales. C'est d'ailleurs de bonne guerre. Car, quand Bernard Kouchner déclare, en parlant des budgets sociaux (« le Quotidien » du 20 juin) : « C'est l'argent des Français », il devrait reconnaître aussi que c'est l'argent des entreprises françaises, qui paient des charges à raison de 50 % du salaire, quand les salariés eux-mêmes paient 20 %. L'affaire est entendue : le budget de la protection sociale est le double du budget de l'Etat, les prélèvements obligatoires dépassent 45 % du produit national brut, tout le monde dit que c'est trop mais, en même temps, les honoraires des médecins sont insuffisants, les hôpitaux manquent de moyens et de personnels, la recherche pharmaceutique est menacée.
Les principes mis en avant
Et le gouvernement crée de nouveaux programmes sociaux qu'il finance en faisant de la cavalerie, avec des raisonnements plus qu'avec des fonds : il est logique, nous dit Elisabeth Guigou, que la Sécurité sociale finance partiellement les 35 heures, parce que les 35 heures ont créé des emplois et que, en conséquence, la Sécu bénéficie de nouvelles cotisations.
Et pourtant, si la réduction du temps de travail a un coût, c'est aussi parce que les charges des entreprises ont été réduites pour faciliter l'embauche. Pour qu'on ne le lui rappelle pas, le Medef met en avant les principes : puisque l'Etat décide de tout, il n'a pas besoin des partenaires sociaux.
C'est là que l'on touche au cur de la question : de même que la médecine libérale n'a plus de libéral que le nom (les honoraires ne sont pas libres du tout, ils sont limités par le prix de l'acte et même, dans certains cas, par le volume des actes), la Sécu d'antan, dont les fonds étaient gérés paritairement par les salariés et les patrons, a vécu. Et ce n'est pas d'hier qu'elle s'est transformée. Les syndicats de travailleurs continuent à entretenir le mythe de budgets sociaux qui n'ont rien à voir avec celui de l'Etat. Depuis qu'a été mise en place la CSG, impôt que ne veut pas dire son nom, cette distinction n'a plus cours. Pour le cotisant, une cotisation et un impôt sont deux choses strictement identiques : il ne peut compter que sur ce qui reste une fois qu'il a payé l'un et l'autre. Dans ces conditions, pourquoi ne pas dire une vérité que nous partageons tous mais que nous travestissons dans des déguisements sémantiques ? Pourquoi ne pas dire que l'impôt, qui sert à bâtir des écoles, des routes et des porte-avions, sert aussi à nous assurer contre la maladie et à payer nos retraites ?
Le gouvernement de Lionel Jospin n'est d'ailleurs pas le premier à participer à la fiscalisation des cotisations. Ce n'est pas lui qui a inventé la CSG et la CRDS. Mais il contribue à universaliser le nouveau système de protection sociale, tout en affectant de ne rien changer à la gestion paritaire. Les travailleurs et les entreprises paient des cotisations et le gouvernement dispose de ces sommes (énormes) comme il l'entend. C'est de cette manière qu'on en arrive à dire que la Sécu doit payer les 35 heures, en leur découvrant un rapport qui tombe à point nommé dès lors que l'argent est rare et qu'il faut en trouver à tout prix.
Le message du patronat
La conduite du patronat consiste donc à placer les pouvoirs publics devant leurs responsabilités. Le message est à peu près le suivant : « Ne nous contez pas de sornettes, reconnaissez que vous voulez gérer la totalité des prélèvements obligatoires et que vous irez chercher les fonds qui vous manquent là ils sont, sans vous soucier de distinguer l'impôt de la cotisation. »
Nous avons déjà indiqué que, au bout du raisonnement, les médecins aussi financent les 35 heures. Dans son imperturbable logique, Mme Guigou a oublié que l'assurance-maladie est encore en déficit alors même que le système de santé craque de toutes parts et que, si elle trouve onze milliards à la Sécu, ce n'est pas aux 35 heures qu'elle doit les affecter, mais à la CNAM. Ah, bien sûr, les Français sont très satisfaits de travailler quatre heures de moins par semaine et, bien sûr, ils n'entendent pas pour autant consacrer davantage d'argent à leur santé. Ils ont la chance d'avoir un gouvernement qui leur dit en substance : « C'est votre argent, je le gère rationnellement, vous aurez les RTT et la santé sans payer un sou de plus. »
Il est plus facile d'appauvrir cent cinquante mille médecins que de demander à 60 millions de sortir de leur poche quelques billets de plus.
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