On ne peut dire du gouvernement Raffarin ni qu'il chôme, ni qu'il est lent, ni qu'il ne déploie pas sa stratégie aux quatre points cardinaux de l'action politique, ni qu'il n'a pas annoncé ou déjà mis en œuvre toute une série de mesures qui concernent l'école, la fiscalité, la sécurité, la protection sociale, l'Europe.
Mais on ne peut pas dire non plus que son action soit entièrement dirigée vers les réformes, quel qu'en soit le prix. S'il a tenu bon sur la baisse de l'impôt sur le revenu, il n'a pas remis en question la semaine des trente-cinq heures, parce que, nous ont expliqué plusieurs ministres, les trente-cinq heures, c'est la loi et il faut l'appliquer.
Avantage social
La vérité est que la réduction du temps de travail compromet notre compétitivité commerciale et qu'il ne suffit pas d'en assouplir les dispositions : il fallait rendre leur liberté aux entreprises. Il n'y aura jamais de gouvernement capable de remettre en cause un avantage social.
De la même manière, M. Raffarin n'a pas tenu, sur les retraites, un langage simple qui aurait dénoncé les privilèges féodaux dont bénéficient les fonctionnaires au détriment des salariés du secteur privé : ils sont les seuls à bénéficier d'un régime par capitalisation en plus du régime par répartition, et ils paient des cotisations inférieures à celles du privé. Et qui aurait posé le principe en vertu duquel si on veut financer les prestations, la durée des carrières doit être allongée ?
C'est pourtant le bon sens qui dicte l'application de ce principe, mais un gouvernement dont la durée de vie ne dépasse pas, à partir d'aujourd'hui, les quinze jours n'allait sûrement pas se mettre à dos les syndicats. La prudence de M. Raffarin est donc compréhensible. Cependant, si la droite gagne les législatives, on voudrait qu'elle tienne, à partir du 17 juin, un langage plus explicite, et surtout plus réaliste. Car on ne met pas en œuvre un programme pragmatique si on n'observe pas la réalité des faits et des chiffres.
Il nous manque, en France, des hommes politiques capables de prendre leurs distances par rapport aux revendications populaires. Quand un syndicat de salariés tonne sur la retraite à 60 ans, acquis social à ne remettre en cause dans aucune circonstance, il défend peut-être un intérêt catégoriel, mais avec une absence totale de responsabilité. On ne dirige pas un pays si on remet la solution d'un problème à plus tard, en espérant un miracle que rien ne permettra d'accomplir ou en comptant sur les prochaines générations, déjà grevées de la dette publique et à la recherche d'un emploi dans un marché du travail très exigu.
Question d'avenir
De même, quand on enferme les dépenses de santé dans un « objectif », sans tenir compte des nouvelles maladies et du vieillissement de la population, là aussi on est irresponsable. Quand on est épouvanté par le refus de cinq millions de fonctionnaires de s'adapter à la société contemporaine alors que la même nécessité de s'adapter a fait des ravages dans le secteur privé, on insulte l'avenir.
On remarque d'ailleurs que, chaque fois que la réforme de la fonction publique est mentionnée, tout homme politique considère comme un devoir de rendre hommage, en préambule, aux fonctionnaires. Ils méritent certainement cet hommage puisque la France est l'un des pays les mieux administrés du monde. Mais il ne suffit pas de les couvrir de louanges. Il faut résoudre cette accablante équation en vertu de laquelle trois salariés du privé travaillent pour financer un poste de fonctionnaire. Le gouvernement de M. Raffarin, en tout cas pas François Fillon, le ministre des Affaires sociales, dont ce sera la tâche de réformer la fonction publique, ne nous a pas dit comment il s'y prendrait ; par exemple, s'il tirerait avantage du départ à la retraite de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires dans les années qui viennent pour en limiter le nombre dans les bureaux et dégager les postes indispensables dans les hôpitaux, pour autant qu'on forme plus de médecins et d'infirmières.
On sait bien que le discours sincère est difficile à tenir quand un gouvernement n'est pas certain d'être reconduit après les législatives et qu'il a aussi pour tâche de les gagner. Il demeure que le langage de la vérité, s'il est simple et explicite, ferait mouche : il ne s'agit pas de démanteler notre système de protection sociale, mais de le préserver au contraire. Et on ne le maintiendra en l'état que s'il reste financièrement équilibré. Il ne s'agit pas de remplacer le régime des retraites par répartition par un régime fondé sur la capitalisation : les Français n'ont jamais attendu des directives gouvernementales pour épargner. Or comment préserver le niveau des prestations et ne pas augmenter les cotisations - déjà très élevées - si la durée des carrières n'est pas prolongée ?
En d'autres termes, ceux qui continuent à se battre avec fureur sur le front de la retraite à 60 ans sont les fossoyeurs de la répartition. On ne paiera jamais aux retraités les prestations qu'on n'a pas en caisse. C'est simple comme bonjour. Mais quel gouvernement l'a jamais dit de cette manière ?
Si la nouvelle équipe gouvernementale avait parlé en ces termes, elle aurait rafraîchi considérablement la vie politique. Si elle disait à voix haute qu'on ne fait pas une politique de santé fondée sur la paupérisation croissante des professionnels de santé, lesquels ne peuvent exercer qu'après de longues études, on ferait comprendre aux patients qu'ils ne peuvent pas se payer un système de soins à un prix inférieur au prix de revient. Pendant cinq ans, le gouvernement Jospin a refusé cette réalité. Celui de M. Raffarin devrait en tirer la leçon.
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