Outre le fait que la vente de médicaments en ligne favorise l'automédication et donc les risques d'autodiagnostics erronés, ce commerce se heurte au monopole des pharmaciens seuls habilités à préparer et à vendre des médicaments.
Si le fait d'être pharmacien est une condition nécessaire, elle n'est pas suffisante.
La nécessité d'une officine
Il faut, en outre, une officine, c'est-à-dire un « établissement affecté à la dispensation au détail des médicaments, produits et objets mentionnés à l'article L.512 ainsi qu'à l'exécution des préparations magistrales ou officinales ». Toute vente de médicaments en dehors des officines est donc illégale et passible des sanctions pénales prévues par l'article L.4223-1 du code de la santé publique (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende).
La règle est strictement appliquée comme l'illustre cet arrêt de la cour de cassation du 16 mai 2000 qui a interdit la commercialisation par une entreprise de produits dont la vente est réservée aux pharmaciens, alors même que les responsables de cette entreprise sont titulaires d'un diplôme de pharmacien. Après avoir opéré une distinction entre les pharmaciens exerçant au sein d'une officine et les autres titulaires d'un tel diplôme, les juges ont précisé que « les pharmaciens (...) sont uniquement ceux qui exercent leur profession dans une officine de pharmacie, satisfaisant ainsi à toutes les conditions posées à cet effet par l'article L.514 du CSP ». Ainsi, seuls ceux qui exercent dans le cadre d'une officine de pharmacie bénéficient du monopole de la vente des produits concernés par le code de la santé publique.
Il est d'ailleurs « interdit aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public. Il est, en outre, interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments et autres produits ou objets mentionnés à l'article L. 4221-1 par l'entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue ». Est également interdite en droit français la publicité sur les médicaments remboursés auprès du grand public.
Les produits frontières
Il convient cependant de noter que le groupe de travail du CNC « parapharmacie » suggère, dans un rapport publié en février 2005, d'adapter l'article L.4211-1 du code de la santé publique relatif au monopole des pharmaciens afin de favoriser la diffusion des produits « frontières du médicament » hors des officines. Il s'agit des produits d'hygiène et de soins, des produits de confort, des produits de diagnostic, des produits divers tels que crèmes à l'arnica, gels défatigants, crèmes chauffantes... et des produits acaricides et insecticides destinés à être appliqués sur l'homme.
Le droit communautaire
La question de la compatibilité du droit français aux principes du droit communautaire a été soulevée à plusieurs reprises pour contrer la situation de monopole dont bénéficient les pharmaciens. Elle a notamment été portée devant la Cour de justice des Communautés européennes à l'initiative de l'Ordre des pharmaciens allemands, à raison de la vente de médicaments à partir de pharmacies en ligne aux Pays-Bas. Dans un arrêt Doc Morris rendu du 11 décembre 2003, les juges communautaires ont considéré que l'article 30 du traité CE « ne pouvait pas être invoqué pour justifier une interdiction absolue de vente par correspondance des médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale dans l'Etat membre concerné ». Tel n'est pas l'avis des juges français comme l'illustre un arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 mars 2005. Au sujet de la vente en ligne de produits de lentilles de contact, ils ont considéré que le monopole accordé aux pharmaciens et aux opticiens lunetiers par les articles L.4211-1-2° et 4° du code de la santé publique pour les produits pour lentilles de contact n'était contraire à aucune disposition du traité européen susvisé, notamment l'article 30.
Au niveau européen, le groupe de travail du CNC « parapharmacie », dans son rapport précité de février 2005 rend compte de la situation du monopole pharmaceutique dans l'Union européenne. La France, l'Italie, l'Espagne et la Grèce ont adopté un monopole pharmaceutique étendu à des produits autres que les médicaments. Les Pays-Bas, l'Allemagne et le Danemark ont opté, quant à eux, pour un monopole limité à la vente des médicaments. Le Royaume-Uni, l'Irlande et le Luxembourg ont, eux, choisi un monopole réservé à certains médicaments, favorisant ainsi la délivrance des médicaments en dehors de l'officine. Ce rapport met ainsi en exergue que « un monopole pharmaceutique existe dans tous les pays, mais d'une ampleur extrêmement variable. Le monopole français est particulièrement étendu ».
L'officine en ligne
Dans certains pays, notamment au Canada et aux Pays-Bas, les cyberpharmacies sont expressément autorisées et d'ores et déjà développées, proposant une large gamme de produits en ligne. En Angleterre, l'Office of Fair Trading incite les autorités britanniques à modifier les textes pour permettre la création de pharmacies en ligne.
En France, la jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si un site Web peut constituer une officine, sauf à citer cette décision isolée du tribunal de commerce de Pontoise le 15 avril 1999 qui n'a pas vu d'obstacle à la reconnaissance d'une parapharmacie en ligne (il s'agissait cependant de produits « dermocosmétiques ». Cependant, l'analyse du cadre légal et réglementaire n'apparaît pas incompatible avec l'officine électronique. On pourrait ainsi considérer que celui qui ouvrirait une officine électronique n'enfreint pas la loi dès lors qu'il respecte les contraintes posées par les textes :
1) le site reste sous le contrôle du pharmacien, seul habilité à vendre des médicaments ;
2) c'est l'internaute qui fait la démarche de passer commande (il ne s'agit donc pas de sollicitation de commandes). Quant à la question du portage à domicile de spécialités pharmaceutiques, il importe de rappeler que le code la santé l'autorise dans deux cas :
- « Toute commande livrée en dehors de l'officine par toute autre personne ne peut être remise qu'en paquet scellé portant le nom et l'adresse du client »,
- « (...) Toutefois les pharmaciens d'officine, ainsi que les autres personnes légalement habilitées à les remplacer, assister ou seconder, peuvent dispenser personnellement une commande au domicile des patients dont la situation le requiert. »
Pour l'heure, on peut penser que les conclusions du groupe CNC « parapharmacie » précité marquent une première étape dans le processus de création des cyberparapharmacies en France en suggérant d'exclure du monopole des pharmaciens la catégorie des « produits frontières » et donc de permettre leur vente en ligne.
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