La variole a disparu depuis vingt-cinq ans de la planète. Et depuis plus de quarante ans de l'Hexagone. Mais tous les spécialistes du bioterrorisme s'accordent à la classer au rang des menaces les plus graves qui pèsent sur le monde, compte tenu des intentions éventuelles des groupes terroristes et de la dangerosité extrême d'un virus contagieux contre lequel il n'existe aucun traitement curatif.
Après les attentats du 11 septembre, le gouvernement Jospin avait engagé sur la question de la stratégie vaccinale la mieux adaptée un important travail interministériel, dans le cadre du plan dit Biotox. Dès le mois de novembre 2001, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) rendait un avis sur la question : distinguant des stratégies graduées en fonction des circonstances, il estimait qu'il n'y avait pas lieu de vacciner l'ensemble des personnels de santé et de secours, ni, a fortiori, l'ensemble de la population française. Mais il recommandait « une vaccination sélective et circonstanciée des populations, qui, en cas de reprise de la circulation du virus de la variole, seraient particulièrement exposées à un risque de contamination » (« le Quotidien » du 2 novembre 2001). Et il en appelait « dès à présent » à l'élaboration d'un plan pour préciser en particulier quelles personnes étaient concernées par la vaccination.
Cinq niveaux d'alerte
C'est donc ce « plan national de réponse à une menace de variole » qu'a finalement concocté, quinze mois plus tard, le gouvernement Raffarin et qui a fait l'objet d'un décret publié hier au « Journal officiel ».
Il définit cinq niveaux d'alerte (un de plus que dans le plan de novembre 2001), avec, pour chacun d'eux, la réponse envisagée selon une stratégie graduée.
Nous en sommes aujourd'hui au premier niveau. Celui sans « aucun cas de variole dans le monde ». Dès ce stade du risque, il a été décidé, au titre de la prévention, de vacciner une équipe pluridisciplinaire d'intervention nationale. Constituée de personnels sanitaires, épidémiologistes, de fonctionnaires de la justice, de la police et de l'armée, elle comprend 150 intervenants, parmi lesquels 10 infectiologues ou internistes, 10 réanimateurs, 5 pédiatres, tous dans la zone de Paris, ainsi que 5 infectiologues dans chacune des 6 autres zones de défense. S'y adjoignent 15 infirmiers, 15 aides-soignants, 10 brancardiers, 10 personnels de SMUR ou du SAMU, 10 manipulateurs radio, 10 personnels de laboratoire amenés à manipuler les prélèvements cutanéo-muqueux des patients, 5 épidémiologistes.
Tous ces volontaires, assure-t-on Avenue de Ségur, auraient déjà été recrutés. Chacun d'eux justifie d'au moins une vaccination antérieure contre la variole, authentifiée par une cicatrice vaccinale ou par le carnet de vaccination ; ils ne présentaient évidemment pas de contre-indication cutanée (eczéma, psoriasis, herpès, acné sévère...), immunitaire (séropositifs pour le VIH, maladies auto-immunes,...), maligne (lymphome, leucémie...), nerveuse (maladies neurovégétatives, tumorales...).
A cette équipe nationale, opérationnelle 24 heures sur 24, il appartiendra de confirmer ou d'infirmer toute suspicion de variole, de prendre en charge le ou les cas suspects, de leur domicile jusqu'à la fin de leur hospitalisation, et d'enquêter autour de chaque cas, en liaison avec les épidémiologistes.
Le deuxième niveau d'alerte, la menace révélée en l'absence de cas déclaré, serait atteint dès lors que quelqu'un, où que ce soit dans le monde, serait arrêté en possession d'échantillons du virus de la variole. S'ensuivrait la vaccination d'au moins une équipe hospitalière dédiée à l'intérieur de chacune des sept zones de défense, en plus de l'équipe nationale. Cela représenterait de 600 à 900 professionnels de santé.
Le troisième niveau, dès lors qu'un cas de variole sera déclaré en dehors du territoire national, devra entraîner la vaccination de l'ensemble des intervenants dits de première ligne, soit de deux à quatre millions de personnes (selon qu'on vaccinerait les seuls professionnels de santé ou la totalité des intervenants de secours).
Le quatrième niveau est déclenché avec un cas sur le territoire national. Seront alors vaccinés dans les quatre jours suivant l'exposition les sujets contact A (personnes ayant eu un contact face-à-face avec le malade à moins de deux mètres, ayant été en contact avec une source confirmée de virus, des éléments de literie du malade, personnels de laboratoire victimes d'accident de manipulation) ainsi que, moins en danger, les sujets contact B (usagers des mêmes moyens de transports collectifs qu'un malade, entourage proche des contacts A).
Un dossier pour les médecins
Le plan rappelle à cet égard le décret publié le 7 août dernier sur le signalement en urgence et la notification à l'autorité sanitaire des cas suspects ou confirmés de variole et autres orthopoxviroses. Les premiers correspondent en l'absence d'autre cas à l'éruption caractéristique de la variole et, en présence d'autre(s) cas, à tout syndrome pseudo-grippal si un lien épidémiologique est établi avec un cas certain et, à défaut, à un symptôme pseudo-grippal suivi d'une éruption maculo-papuleuse.
A la direction générale de la Santé, on est bien conscient de l'urgence de sensibiliser les professionnels de santé aux aspects cliniques d'une maladie qui est désormais inconnue des médecins. Un dossier très exhaustif* a été élaboré à leur attention, qui passe en revue les différentes formes cliniques (classiques et rares), l'incubation (en moyenne de dix à quatorze jours), la période de contagiosité (de l'apparition de la fièvre jusqu'à la chute des croûtes), la délicatesse du diagnostic par rapport à celui de la varicelle et le traitement (symptomatique, par prévention des surinfections bactériennes, aucun traitement curatif n'ayant à ce jour fait ses preuves, le vaccin administré jusqu'à quatre jours après l'exposition au virus étant toutefois susceptible d'entraîner une immunité protectrice ou, à tout le moins, d'atténuer la gravité de l'infection).
En cas de survenue simultanée de nombreux cas sur le territoire français, le cinquième et maximal niveau d'alerte prévoit deux dispositions : la vaccination en anneau autour de chacun des cas et le confinement des patients seraient maintenus autant que possible. Si, néanmoins, on ne parvenait pas à contrôler ainsi l'épidémie, le recours à la vaccination de l'ensemble de la population, arme ultime, serait alors envisagé par les autorités sanitaires. Malgré les effets secondaires qu'elle entraîne (encéphalite postvaccinale avec 12,5 cas/million de primovaccinations, dont 15 % de décès, et 0,25 mort par million de rappels), l'analyse de la balance bénéfice-risque pencherait alors, et seulement alors, en faveur de cette stratégie paroxystique.
* Site Internet : http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/biotox/index_variole.htm
La France, troisième pays à reprendre les vaccinations
C'est le gouvernement israélien qui a été le premier au monde à décider de recommencer les vaccinations antivarioliques. Dès octobre 2002, 15 000 intervenants d'urgence étaient concernés. A cette occasion, quatre effets secondaires graves ont été observés, dont deux accidents d'inoculation. Franchissant un nouveau palier dans ses préparatifs en prévision d'un conflit armé avec l'Irak, l'Etat hébreu vient en outre de distribuer à l'ensemble de la population une brochure d'une cinquantaine de pages qui détaille toutes les mesures à prendre en cas d'éventuelles frappes de missiles ou d'attaques biologiques ou chimiques.
Aux Etats-Unis, la vaccination est en cours dans 16 Etats et, à ce jour, 687 personnes appartenant au personnel de santé ont été vaccinées. Cette campagne vise à vacciner environ 400 000 personnes dans tout le pays, de quoi former le premier rempart contre une épidémie de variole déclenchée par des terroristes. Une deuxième vague de vaccination, prévue dans quelques mois, vise à protéger 10 millions de civils. Dans les forces armées américaines, la vaccination d'environ 500 000 soldats a débuté en décembre.
La France participe aux deux réseaux internationaux qui élaborent des stratégies intensives contre le risque NBC (nucléaire, biologique et chimique) : le premier dans le cadre européen, installé à Luxembourg et le second (groupe d'action mondial pour la sécurité sanitaire), constitué par les pays du G7 et piloté par le Canada.
De manière schématique, tous les pays adhèrent à des principes communs : respect de la doctrine OMS de vaccination en anneau autour des premiers cas ; vaccination rapide des intervenants de première ligne ; constitution d'un stock de vaccin pour toute la population ; équipes régionales de vaccinations formées et équipées.
Vaccins : 61 millions de doses grâce aux aiguilles « bifurquées »
A ce jour, les autorités sanitaires françaises assurent disposer d'un total de 61 millions de doses. Celles-ci proviennent de deux types de vaccin. Le vaccin Pourquier, qui est conservé depuis vingt ans, vient de faire l'objet d'un contrôle de la part de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ; le titrage des lots ainsi que leur qualité microbiologique sont considérés comme satisfaisants. Obtenu par la mise en production récente et le conditionnement, à la demande du gouvernement, d'un reliquat de pulpe vaccinale, le vaccin Aventis-Pasteur répond quant à lui à des conditions de sécurité microbiologique et de titrage tout à fait satisfaisantes.
A la demande de la direction générale de la Santé et de l'AFSSAPS, une étude expérimentale sur le singe, réalisée l'année dernière par le centre de recherche du Service de santé des armées, a permis de valider le mode d'injection par aiguille bifurquée pour les deux types de vaccins. Cette aiguille en forme de fourche à deux dents permet de délivrer une dose unitaire de vaccin de 1 microlitre avec la même efficacité que le mode d'injection historique : la scarification pour le Pourquier (qui nécessitait une administration de 10 microlitres) ou à l'aide d'une bague pour le vaccin Aventis (avec une dose unitaire de 50 microlitres).
C'est la validation de cette aiguille bifurquée qui a permis d'accroître considérablement le stock des vaccins. Commande a été passée de 60 millions d'exemplaires de ces aiguilles. Leur stock augmente actuellement à la vitesse de 5 à 6 millions d'unités mensuelles.
Au total, la France dispose déjà de près de 55 millions de doses de vaccin Pourquier et de 6 millions de doses Aventis, sur les 17 millions qui ont été commandées.
Ces stocks de vaccins et d'aiguilles ont été transférés dans deux sites militaires sécurisés, dans la partie nord et sud de la France. Leur répartition dans l'éventualité de leur usage est en cours d'organisation logistique, sous la direction des préfets de zones de défense civile.
Au cas où la vaccination de l'ensemble de la population serait décidée, l'objectif est de pouvoir vacciner les 60 millions de personnes présentes sur le territoire en quatorze jours, avec un délai d'activation de 24 heures. Des unités de vaccination de base (avec 20 médecins, 60 paramédicaux et 20 administratifs) vaccineraient à la cadence de 1 000 personnes par jour.
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