«EN CHINEexistent trois médecines: la médecine traditionnelle, la médecine moderne, qui a été introduite au début du XXesiècle, et une troisième branche de la médecine constituée de la convergence et l’intégration de la médecine orientale et de la médecine occidentale.» Le Pr Zhu Chen, de passage à Paris pour recevoir un des prix Inserm et coprésider le Symposium médical France-Chine, n’est pas un scientifique comme les autres. Ses travaux l’ont conduit au milieu des années 1990 à démontrer que la rencontre entre la médecine traditionnelle chinoise et la science moderne pouvait se révéler fructueuse. En reprenant les travaux de son patron, le Pr Zhen-yi Wang, qui avait montré en 1987 que l’acide tout transrétinoïque induisait une rémission, quoique partielle, chez 80 à 90 % des patients atteints de leucémie aiguë promyélocytaire (LAP), l’une des plus malignes et au redoutable pronostic, il a l’idée d’associer au traitement un médicament utilisé en médecine traditionnelle chinoise, l’arsenic.
«L’arsenic trioxyde était alors utilisé en médecine traditionnelle par voie orale ou au niveau de la peau, pour soigner des asthmes sévères et des ulcères cutanés chroniques. Certains essais ayant donné quelques résultats sur les patients atteints de leucémie, j’ai décidé d’approfondir la question», explique-t-il. Il entreprend pour cela d’explorer les bases moléculaires de la genèse des LAP et montre, grâce à la collaboration d’Hugues de Thé et du Pr Laurent Degos, à l’hôpital Saint-Louis (Paris), le rôle essentiel d’une oncoprotéine, PML-RAR, responsable d’une translocation chromosomique t (15 ; 17). L’arsenic trioxyde injecté en intraveineuse agit de manière spécifique sur les oncoprotéines PML-RAR, provoquant l’apoptose ou la différenciation partielle des cellules malignes. Associé à l’acide tout transrétinoïque, le traitement est un succès : deux seulement des 60 patients traités ont fait une rechute, tous les autres sont en rémission depuis six ans.
Ce résultat exceptionnel, l’une des rares victoires sur le cancer, vaudra à son auteur une reconnaissance nationale et internationale. Il sera successivement élu vice-président de l’Académie des sciences de Chine en 2000, membre de l’Académie des sciences aux Etats-Unis en 2003 et en France en 2005 et, la semaine dernière, Christian Bréchot lui a remis le prix Inserm étranger.
Pour la diversité du monde.
La vice-présidence à l’Académie des sciences de Chine lui permet de réaliser un projet qui lui tient à coeur : rapprocher la Chine et la France. «J’ai bien sûr beaucoup d’amis anglo-saxons, mais l’idée d’une seule culture me semble dangereuse pour la diversité du monde. L’Europe et la France représentent un apport considérable dans la civilisation humaine, tout comme la Chine, et je souhaite que les jeunes Chinois puissent le découvrir comme je l’ai fait», assure-t-il.
Il est vrai que son parcours n’est pas banal. Il naît à Shanghai en 1953, dans une famille de médecins – ses deux parents sont endocrinologues. Arrive la Révolution culturelle. Il est envoyé à la campagne pour apprendre les vertus du travail et de la vie communautaire, et c’est en marge des cursus officiels que ses parents l’initient peu à peu aux questions scientifiques et médicales. Il commence même à soigner quelques patients, avant de pouvoir s’inscrire, à 23 ans, dans une école de médecine qui forme des médecins du travail. C’est seulement l’année suivante, en 1976, que l’enseignement universitaire est restauré en Chine. Il intègre alors, à l’université de médecine Shanghai n° 2, le service du Pr Zhen-yi Wang. Cet éminent hématologue a fait ses études à l’université Aurore, fondée par les jésuites au XIXe siècle, où la formation médicale est entièrement assurée en français, et a été interne dans les hôpitaux de Paris dans les années 1930. Désireux de renouer avec cette tradition – interrompue au moment de la Révolution chinoise –, il suggère à ses meilleurs étudiants de continuer leurs études à Paris. Parmi eux, Chen Zhu. A 32 ans, il ne maîtrise pas le français, mais décide d’accepter l’aventure après six mois de cours intensifs. A l’hôpital Saint-Louis et à l’université Paris-VII, il travaille avec de grands noms de la recherche et de la médecine, notamment Jean Bernard et Jean Dausset, et noue de solides amitiés. Il passe un DEA d’oncogenèse, approfondit ses connaissances en biologie moléculaire au centre d’étude du polymorphisme humain où il collabore avec Daniel Cohen.
Un pôle sino-français.
A son retour en Chine, il dirige le Centre chinois du génome humain et, sous son impulsion, la Chine sera le sixième pays à rejoindre le projet international de déchiffrement du génome humain. C’est lui qui crée le pôle sino-français en sciences du vivant et en génomique à l’hôpital Rui Jin de Shanghai, qui associe de grands organismes de recherche français : le Cnrs, l’Inserm, l’Institut Pasteur de Paris et des institutions chinoises comme l’Académie des sciences de Chine, l’Université médicale n° 2 et l’Institut médical sur le cancer de Shanghai. La Fondation franco-chinoise pour la science et ses applications existe, quant à elle, depuis fin 1998 dans les locaux de l’Académie des sciences, grâce au Pr Jacques Caen, et permet chaque année à une vingtaine de postdoctorants chinois de venir travailler en France. «Depuis cette année, l’échange se fait dans les deux sens et des postdoctorants français commencent à rejoindre nos laboratoires», se réjouit le Pr Zhu Chen. A la suite de l’épidémie de Sras, il se lance dans un nouveau projet soutenu par les gouvernements chinois et français : un laboratoire P 4 bâti sur le même principe que celui de Lyon qui permettra à la Chine de participer activement à la surveillance des maladies émergentes.
Le symposium* qui s’ouvre aujourd’hui et qu’il copréside avec le Pr Jean-François Dhainaut (président de l’université René-Descartes Paris-V) sera l’occasion d’évoquer tous ces sujets en présence d’experts chinois et français. L’aspect pharmacologie y tiendra une bonne place, notamment avec la réglementation sur les substances naturelles et la propriété intellectuelle. «Nous avons une longue tradition d’échanges avec nos amis chinois, et nous aimerions montrer que la médecine chinoise a un rationnel de plus en plus important et jusqu’ici peu connu», assure le Pr Dhainaut. Il se réjouit de l’apport de ces étudiants chinois parfaitement francophones qui viennent chaque année dans son université. «Le chinois est aujourd’hui la deuxième langue enseignée à Paris-V, après avoir longtemps été à la 11eplace. Le symposium pourrait susciter leur intérêt pour aller étudier là-bas la médecine chinoise.»
* Symposium médical France-Chine, 23 et 24 octobre, faculté de médecine, 12, rue de l’Ecole-de-Médecine, Paris 6e. Avec, entre autres, côté français, J. Hoffmann (vice-président de l’Académie des sciences), J.-L. Binet, L. Degos, D. Houssin, Ch. Bréchot, A. Basdevant, D. Maraninchi, J. Marimbert (www.medical-france-china.com).
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